Merci à Manon D.
… : mot latin
… : mot grec
… : important
… : « déf »
La recherche de soi
ego, alter ego
la subjectivité, l’altérité
la partie et le tout
1) Un, une parmi d’autres
→ articulation entre les programmes de Première et de Terminale
en Première
Les pouvoirs de la parole
L’art de la parole
L’autorité de la parole
Les séductions de la parole
Les représentations du monde
Découverte du monde et diversité des cultures
Décrire, figurer, imaginer
L’homme et l’animal
en Terminale
La recherche de soi
Éducation, transmission, émancipation
Les expressions de la sensibilité
Les métamorphoses du moi
L’Humanité en question
Créations, continuités, ruptures
Histoire et violence
L’humain et ses limites
- Langage
- Langue
- Parole
Le passage, « le mouvement » qui fait passer d’une partie à l’autre est le même en Terminale qu’en Première : il s’agit de passer de l’individu (de la partie) au genre, l’espèce (au « tout »).
Ce mouvement apparaît moins clairement entre les deux parties du programme de Première, tant qu’on ne rappelle pas que, distincte de la notion de « langage » et de la notion de « langue », la notion de « parole » renvoie à un acte :
il n’y a de parole que dans l’acte de « prendre parole ». Or cet acte doit être accompli par un quelqu’un, une quelqu’une, c’est-à-dire un locuteur, une locutrice.
Exemples illustrant le fait que toute parole consiste en une « prise de parole » : « couper la parole » → je ne devrais « prendre » la parole que quand celle-ci m’est « donnée ».
« La recherche de soi », tel est l’intitulé du thème général de cette première partie de l’année.
Avant de nous demander comment, par quels chemins, chacun, chacune, devrait s’efforcer de « se » trouver après « s’être cherché.e », de se trouver « soi » ; avant de nous demander si, vraiment, il faudrait pour chacun, chacune, se lancer dans ce qui s’annonce comme une véritable quête ; commençons par essayer de définir ce qui est ou serait à chercher:
qu’appelle-t-on « soi », « le » soi, être soi, être un soi ?
I) Ego et alter ego
Ego / alter ego
Ego = c'est un mot latin que la langue française traduit par "je", un radical (latin) à partir duquel la langue française forme les mots "égoïsme", "égocentrisme"...
Alter ego = cette expression désigne tout autre (autre que moi, que moi je, que "ego") qui cependant...dit "je", qui dit "moi", qui dit (s'il est un ou une romaine de l'antiquité latine) "ego" → un autre moi avec un point commun (le fait de dire également « je » dès que la parole est prise)
Cf. Benvéniste, Problèmes de linguistique générale
Autrui = (le mot français "autrui" est formé sur le même radical latin, alter, sur lequel est formé le mot "autre") est un pronom indéfini par lequel est désigné l'ensemble des personnes, des individus, des sujets qui ne sont pas moi.
En un sens le mot "autrui" et l'expression "alter ego" ont le même sens. On peut cependant les distinguer en rapport avec les circonstances, la "configuration", dans lesquelles l'un et l'autre sont employées.
Autrui = indéfini → altérité
"autre", "altérité" (l'ipséité → le latin ipse), "alternance", "alternative", "altruiste", "altérer", "altération", "altercation"
Puisque le mot "altérité" concerne tout ce qui est "autre", toute "altération", autrement dit tout "devenir autre" (= changer), remarquons qu'il y a de l'altérité au sein même de (à l'intérieur de) toute personne, tout sujet ... ne serait-ce que parce que toute personne est dans le temps, tout individu vit dans le temps, tout sujet existe dans et à travers le temps.
a) Individu, personne, sujet
Être un soi, être un sujet, une personne, un individu, un « qui » (non pas un « quoi »). En bref, être un ego.
b) Les expériences de la subjectivité
L’ennui, la culpabilité, le jeu, comme expériences ou activités favorisant* le « surgissement de la conscience de soi » pour reprendre les mots de Sartre, dans Baudelaire, alors que le philosophe commente l’extrait d’un roman de Richard Hugues, Un cyclone à la Jamaïque.
* ...même si, dans ce bref, très bref, extrait Sartre suggère que le « surgissement de la conscience de soi » est « fortuit » et, en ce sens, sans préparation possible.
NB : une contre-expérience de la subjectivité serait la zombification… à condition de se rappeler qu’un zombie - qui est dépourvu de nom, d’âge, de genre, de mémoire et donc de toute subjectivité – est tout le contraire d’un ou un vampire.
Dystopie :
Zombie / vampire : la différence tient dans la conscience de soi.
2) Expériences de la subjectivité
→ Être reconnu.e, être nommé.e, être responsable par autrui, devant autrui
Étude de l'extrait de Baudelaire de Jean-Paul Sartre (XX ème s.)
L'étonnement d'être soi
« Chacun a pu observer dans son enfance l'apparition fortuite et bouleversante de la conscience de soi. (…) Personne n'en a mieux parlé que Hugues* dans Un cyclone à la Jamaïque : 'Emily avait joué à se faire une maison dans un recoin, tout à fait à l'avant du navire... fatiguée de ce jeu, elle marchait sans but vers l'arrière, quand lui vint tout à coup cette pensée fulgurante qu'elle était-elle … Une fois pleinement convaincue de ce fait étonnant qu'elle était maintenant Emily Basthornton … elle se mit à examiner sérieusement ce qu'un tel fait impliquait … Quelle volonté avait décidé qu'entre tous ces êtres du monde elle serait cet être en particulier, Emily, née en telle année parmi toutes celles dont le temps est fait... Était-ce elle qui avait choisi ? Était-ce Dieu ? Mais c'était peut-être elle qui était Dieu... Il y avait sa famille, un certain nombre de frères et de sœurs desquels elle ne s'était jamais jusqu'alors entièrement dissociée : mais maintenant qu'elle avait d'une façon si soudaine acquis le sentiment d'être une personne distincte, ils lui semblaient aussi étrangers que le bateau même … Elle fut saisie d'une terreur soudaine : est-ce qu'on savait ? Savait-on, c'était là ce qu'elle voulait dire, qu'elle était un être particulier, Emily – peut-être même Dieu – (pas n'importe quelle petite fille) ? Sans qu'elle sût dire pourquoi, cette idée la terrifiait... A tout prix, cela devait rester secret'.
Cette intuition fulgurante est parfaitement vide : l'enfant vient d'acquérir la conviction qu'il n'est pas n'importe qui, or il devient précisément n'importe qui en acquérant cette conviction. Il est autre que les autres, cela est sûr ; mais chacun des autres est autre pareillement ».
* Richard Hugues, poète et écrivain britannique du 20ème siècle (1900-1976)
Sartre, Baudelaire (1947)
Question : avant le "surgissement de la conscience de soi", avant que j’aie conscience d'être moi, je suis cependant déjà moi : qu'est-ce qui m'aura permis, avant ce "surgissement" d'être moi, d'être un Je (non pas seulement un être parmi d’autres êtres, un être vivant parmi d’autres vivants, un humain parmi d’autres humains) ?
Question : ce "surgissement" est-il "fortuit" ?
nb : phénomène du "déjà vu" / retrouver un souvenir enfoui tout au fond, profond, qui va s'élever vers l'esprit qui se souvient.
cf. Proust, A la recherche du temps perdu, la saveur et la mémoire.
Ennui : je m'ennuie (voix pronominale -> réflexivité : vocabulaire de la grammaire, relation entre le sujet - de l'action - et lui-même)
S’ennuyer c'est, positivement, faire face (...enfin !) à la question de ce que JE veux faire de MOI (personne d'autre n'en décidera à ma place)
D'où l'insistance de la psychologie (cette science de l'âme = psyché... le mot "psychiste" désigne tout thérapeute soignant la psyché humaine : psycho-logue, psych -iatre, psychothérapeute, psch-analyse) à rappeler les vertus (pédagogiques) de l'ennui.
Jeu : cf. Donald Winnicott
... différence entre "game" et "play" ... to play = j'institue mes règles et je tente de les mettre EN COMMUN avec toi, JE crée du NOUS.
Exemples de sentiments qui manifestent l'existence d'une subjectivité :
• La culpabilité : sentiment éprouvé par ego à la pensée que sa responsabilité est engagée dans la situation qui concerne alter ego
→ puis-je ressentir de la culpabilité à l'égard d'une réalité qui ne serait pas une subjectivité ?
→ puis-je ressentir de la culpabilité à l'égard d'un être non-humain, d'un vivant non-humain, en bref d'une subjectivité qui est sentante, non pas pensante, dotée d'une sentience non pas d'une conscience ?
La culpabilité est-elle une notion morale ? N'est-elle pas une notion relevant seulement un champ de la psychologie ?
Subjectivité / subjectif...
Culpabilité => responsabilité => répondre à / répondre de : aujourd'hui je dois répondre de moi-même, je dois répondre de ce que moi j'ai fait, moi j'ai dit dans un passé proche ou lointain
=> je réponds à une question, je réponds de mes actes, de mes dires, c'est-à-dire je réponds de moi devant autrui => SUBJECTIVITÉ (puisque la "responsabilité" implique que je prenne mes responsabilités)
Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique (XVIII ème s.)
« posséder le Je dans sa représentation »:
« représentation » : idée, idéal, une image (mentale), une notion, un concept, un rêve, un souvenir = re-présenter : rendre présent à son esprit, sa raison, sa conscience, son imagination, son « entendement »(l. 10), bref sa faculté de pensée en général
« infiniment » : la différence quantitative devient une différence qualitative : l'humain n'est supérieur aux autres vivants, il est qualitativement différent.
différence de nature / différence de degré
"personne"
Qu'est-ce qu'une « personne » ?
« J’ai lu le récit fait par une femme sur son père atteint par la maladie d’Alzheimer. Elle publie son livre à compte d’auteur pour l’entourage et d’éventuels inconnus. C’est une tentative désespérée et réussie de donner à voir la majesté d’une personne que le vieillissement et l’indifférence asilaire ont dépouillé de sa beauté, de son intelligence, de sa liberté, de son passé, de son avenir, bref de tout ce qui fait une personne. L’amour est là devant le pire, confronté à son propre mystère : qu’aimons-nous dans ceux que nous aimons ? Leur force – mais quand ils n’en ont plus ? Leur charme – mais quand il les a désertés ? Leur parole – mais quand elle est détruite ? Qu’est-ce qu’une « personne » ? Qu’est-ce qu’aimer ? Aimons-nous ceux que nous croyons aimer ? Questions, questions, questions – et pour les réponses on verra dans une autre vie. Peut-être. Sûrement. Peut-être. »
Christian Bobin, Autoportrait au radiateur (1997) / cf. Pascal
→ Autrui, menace pour mon intégrité ou garant de celle-ci?
Benvéniste, extrait de Problèmes de linguistique générale
Dire « Je » pour être un « Je », dire « Je » en le disant à un «Tu»
"C'est dans et par le langage que l'homme se constitue comme sujet ; parce que le langage seul fonde en réalité, dans sa réalité qui est celle de l'être, le concept d’« ego ».
La « subjectivité » dont nous traitons ici est la capacité du locuteur à se poser comme « sujet ». Elle se définit, non par le sentiment que chacun éprouve d'être lui-même (ce sentiment, dans la mesure où l'on peut en faire état, n'est qu'un reflet), mais comme l'unité psychique qui transcende la totalité des expériences vécues qu'elle assemble, et qui assure la permanence de la conscience. Or nous tenons que cette « subjectivité », qu'on la pose en phénoménologie ou en psychologie, comme on voudra, n'est que l'émergence dans l'être d'une propriété fondamentale du langage. Est « ego » qui dit « ego ». Nous trouvons là le fondement de la « subjectivité », qui se détermine par le statut linguistique de la « personne »."
La conscience de soi n'est possible que si elle s'éprouve par contraste. Je n'emploie je qu'en m'adressant à quelqu'un, qui sera dans mon allocution un tu. C'est cette condition de dialogue qui est constitutive de la personne, car elle implique en réciprocité que je deviens tu dans l'allocution de celui qui à son tour se désigne par je. Le langage n'est possible que parce que chaque locuteur se pose comme sujet, en renvoyant à lui-même comme je dans son discours. De ce fait, je pose une autre personne, celle qui, toute extérieure qu'elle est à "moi", devient mon écho auquel je dis tu et qui me dit tu."
Émile Benvéniste,
Problèmes de linguistique générale, 1966
c) Ipséité et altérité, altération, « métamorphose »
Vivre, exister = devenir, s’altérer, changer : cf. le film Danielle (2013) d'Anthony Cerniello. Environ 60 ans en 6 minutes !
Les métamorphoses insensibles
Apparences physiques (les âges de la vie, puberté, maturité, vieillesse, ...), mais surtout les pensées, les désirs, les convictions.
L’altérité ne concerne pas seulement le rapport entre ego et alter ego, mais aussi le rapport entre ego et ego lui-même à travers le temps : j’ai été autre, je serai autre que celui ou celle je suis maintenant.
Et pourtant, si je ne suis pas le même « moi », je suis indiscutablement le même « je »(puisque je me souviens d’avoir été autre, d’avoir eu 5 ans et demi, d’avoir eu une poupée avec laquelle je jouais, avec laquelle je ne joue plus, avec laquelle je ne jouerais vraisemblablement plus jamais), indiscutablement le même « sujet », ou « substrat », ou la même « substance » écrit Pascal dans l’une de ses Pensées (celle qui commence par la question « Qu’est-ce que le moi? »)
Invariant et variation reposent l'un sur l'autre.
Je ne vivrais aucun "changement" en tant que changement si par ailleurs je ne restais pas idem. Et autrui ne parlerait pas à mon propos de "changement" si autrui ne présupposait pas qu'il s'agit bien de la même (idem) personne (sinon, autrui constaterait l'existence de deux personnes, distinctes donc : une personne se serait substituée à l'autre).
Et inversement je ne pourrais guère faire l'expérience de moi-même en tant que sujet (sujet invariant, donc) si je ne faisais continûment le constat que je change de "qualités" (Pascal), de caractéristiques, de positions et de postures, lesquelles me font connaître que le "je" n'est aucune des qualités qui sont les siennes.
Dans ses Éléments de philosophie, Alain met en évidence l’opposition entre invariance et variation (opposition, non pas exclusion) au sens où l’une repose sur l’autre :
Le "je" n'est pas le "moi"
« Le mot Je est le sujet, apparent ou caché, de toutes nos pensées. Quoi que je tente de dessiner ou de formuler sur le présent, le passé ou l’avenir, c’est toujours une pensée de moi que je forme ou que j’ai, et en même temps une affection que j’éprouve. Ce petit mot est invariable dans toutes mes pensées. Je change, je vieillis, je renonce, je me convertis ; le sujet de ces propositions est toujours le même mot. Ainsi la proposition : je ne suis plus moi, je suis autre, se détruit elle-même. De même la proposition fantaisiste : je suis deux, car c’est l’invariable Je qui est tout cela. D’après cette logique si naturelle, la proposition Je n’existe pas est impossible ».
Alain, Éléments de philosophie (1940)
L'étonnement d'être soi / Individualité, altérité, unicité
L’« apparition de la conscience de soi » est-elle
« vide » et « fortuite » ?
Dans cet extrait de son essai sur Baudelaire, Sartre conclut de façon surprenante, presque provocante, son commentaire d’un récit romanesque du surgissement, chez une enfant, de « la conscience de soi ». Ayant commencé par qualifier lui-même cette apparition de « bouleversante » (l.1), pour citer ensuite longuement les mots du romancier Richard Hugues évoquant jusqu’au sentiment de « terreur » (l.13, 16), Sartre semble relativiser l’importance de cet événement, intérieur à la vie de la conscience, voire réduire celle-ci à rien : « cette intuition fulgurante est parfaitement vide ».
Cependant le « vide » n’est pas le rien. Le vide est un espace ouvert par la forme d’un réceptacle qui le manifeste : ce sont les bords du réceptacle qui le font exister comme vide. S’il peut assurément donner le vertige, ce « vide » est un appel : appel à prendre possession de cette forme-réceptacle, à l’habiter, à y construire, à devenir soi.
Le surgissement de « la conscience de soi », qui fait de chacune et chacun seulement un ou une parmi d’autres, à l’égal des autres, « pareil » (l.20) aux autres, est toutefois l’événement décisif, fondamental parce qu’il est inaugural de la quête de soi par soi. Telle est l’impénétrable énigme dont s’approchent ces quelques vingt lignesde Sartre : qui cherchera le « soi » si ce n’est soi-même ? Et comment le soi se chercherait-il s’il ne s’était préalablement, dans le surgissement de la conscience d’être un soi, éveillé à soi ? Alors la question devient : comment cette apparition, que Sartre qualifie de « fortuite », peut-elle à l’insu de soi se préparer ?
1. Un « vide » fondateur
L’acquisition de la « conscience de soi » est fondamentale pour un sujet, elle constitue celui-ci en tant que sujet, elle définit la subjectivité en elle-même. Un sujet n’acquiert donc pas la « conscience de soi » dans le même sens où le sujet peut prendre conscience de telle ou telle réalité, de tel ou tel objet dans le monde (sujet / objet).
La « conscience de soi » est le rapport à soi qui permet le rapport à tous les objets de conscience (au sens où le sujet fait siennes les relations qu’il a aux objets de sa conscience) comme le montre la distinction, proposée par Sartre dans La transcendance de l’ego, entre « conscience thétique » et « conscience non-thétique ».
« S’approprier » ses états de conscience. Notamment la mémoire, le récit. L’in-fans est celui dont les autres parlent, dont les autres racontent l’existence. A l’inverse, la « conscience de soi » est la conscience de la permanence du soi à travers des temps et des lieux différents : le sujet peut se rapporter à soi-même (se penser) dans un autre temps, dans un autre espace. Pouvoir … quasi surnaturel …divin !
Donc, la « conscience de soi » fait entrer le sujet dans une communauté de sujets où il n’est certes qu’un parmi d’autres tout en ouvrant néanmoins pour chaque sujet une trajectoire propre qui le rend unique. cf. individualité, altérité, unicité selon Arendt, La condition de l’homme moderne.
2. « fortuite » ?
La « conscience de soi » est fondatrice de la subjectivité de tout sujet : comment un sujet non-encore constitué comme tel par l’acquisition de la « conscience de soi » pourrait-il « observer » son « apparition » (« chacun a pu observer dans son enfance l’apparition … ») ?
Si elle ne peut être « observée », l’apparition de « la conscience de soi » est-elle cependant « fortuite » ?
« Jouer » : inventer des « personnages », faire parler ceux-ci, leur faire dire « je », « tu »
« Jouer à se faire une maison dans un recoin », jouer à se faire son « chez soi ». cf. Lacan, Ecrits « separare / se parere ».
Le jeu : instituer ses propres règles. Jouer faire exister des personnages. Leur donner voix, les faire parler.
3. Comment se prépare-t-on à devenir « sujet » ?
Expériences fondatrices : conscience du « je » invariant à travers les changements dont le « je » est témoin. Ou selon les mots de Kant dans son Anthropologie du point de vue pragmatique : " l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir"
Le sentiment d’être observatrice, observateur, de la réalité : je ne suis pas les objets dont j’ai conscience.
Le caractère ineffable de la sensation (plaisir, douleur), du sentiment (joie, peine). La solitude.
Conclusion
« Lassitude », ennui. Ennui et responsabilité : je m’ennuie quand je n’ai rien à « faire » … si ce n’est me demander, quand par ailleurs personne ne me com-mande de faire ceci ou cela, ce que moi je veux faire.
Changement et permanence (variation et invariant)
Toute variation suppose un invariant, quelque chose qui ne change pas. Tout ne peut pas changer, tout ne peut avoir changé (comme quand, revenant sur un lieu de son enfance, on s'exclame : "tout a changé !").
Plutarque, Vies des hommes illustre, le bateau de Thésée
Être
Être vivant
Être vivant pensant
(Penser = représenter → re-présent-er ce qui n'est pas présent)
Il n'y a pas de "passé" dans la réalité
(Il y a des effets présents de causes passées, il y a des caractéristiques physiques présentement observables qui sont interprétées par un esprit, une conscience, comme des traces présentes d'un passé plus ou moins lointain : ce trou sur le chemin est interprété, dans une mise en relation entre un temps qui n'est plus, le passé, et un temps présent, comme une "trace", un vestige, du passé)
Métamorphose, changement, remplacement, détournement, retournement, « Larguer les amarres», disparaître (mais pas au sens de mourir)
Autre exemple : les états de l'eau (H20) : la glace, l'eau courante, le nuage, le solide, le liquide, la vapeur → 3 états successifs d'une seule et même réalité (H2O)
Que vous apprend l’étymologie du mot identité
Per-man-ence, invariance
Subjectivité et identité (idem+ens-entis : le « même » + étant)
- Même être, même personne malgré changement
- Une personne
- Même moi, même Je
Deux acceptions du mot « identité » :
- l'usage social du mot « identité » est d'abord, et peut-être exclusivement, fonctionnel, utilitaire : on attribue des identités pour pouvoir distinguer des individus.
- l'usage de ce même mot en accord avec l'étymologie de celui-ci met au premier plan l'affirmation, non pas d'une différence, encore moins d'une différence entre plusieurs individus, mais d'une identité de soi à soi, c'est-à-dire de l'invariance du soi malgré ses variations ou plutôt à travers ses variations.
Changement si invariant → sinon pas de changement
Pascal / les "qualités" ne sont pas la "substance"
« Qu’est-ce que le moi ?
Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants ; si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus.
Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on ?moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées »
Blaise Pascal, Pensées (Laf. 323)
"sub-stance" est le "sup-port" des qualités, les qualités changent la substance est et reste idem
sub-strat → une strate → l'imaginaire du fond et du profond...
su-jet (sub-ject)
L’homme aux mille visages, Sonia Kronlund
→ Identité, Double vie, La double vie composée
Personne, personnalité, personnage : cf. Pascal, Pensées, les qualités / la substance
per-sona : Persona, film de 1966 d'Ingmar Bergman
En latin, le mot persona signifie « masque » (dans le théâtre antique, sur scène, le masque était aussi un porte-voix)per = à travers sona > sonum, le son
L’histoire de Jean-Claude Romand, racontée par la journaliste Florence Aubenas
L'homme aux mille visages, une émission radiophonique, un documentaire et un livre de Sonia Kronlund
→ Se situer : la partie et le tout, l’individu et la communauté
Feuerbach, extrait de L’essence du christianisme : la conscience soi (conscience de sa propre individualité) comme étant un parmi d’autres (conscience du genre, conscience du genre humain auquel j’appartiens).
ob-jet : ce qui est devant soi, "devant" un su-jet
jet : jeter, disposer, étaler, allonger, (gît)
ob-jet, re-jet, tra-jet (tra-jectoire), pro-jet
Conscience, raison, esprit, l'âme : en dehors de tout contexte particulier, cela revient, quel que soit le mot employé, à désigner uniformément la "faculté de penser". C'est le contexte qui invite à employer un mot plutôt qu'un autre, le mot "conscience" plutôt que le mot « raison ».
Sentiment de soi, conscience de soi et conscience des espèces
Quelle est donc la différence essentielle entre l'homme et l’animal ? La plus simple et la plus générale des réponses à cette question est aussi la plus populaire : c'est la conscience. Mais la conscience au sens strict, car la conscience entendue comme sentiment de soi, capacité de distinguer les objets sensibles, de percevoir et même de juger des choses extérieures d'après des caractères sensibles déterminés, une telle conscience ne peut être refusée à l'animal. Mais la conscience au sens le plus strict n'existe que pour un être qui a pour objet son propre genre, sa propre essence. L'animal est sans doute objet pour lui-même en tant qu'individu (et c'est pourquoi il possède le sentiment de soi) - mais non en tant que genre (et c'est pourquoi il lui manque la conscience dont le nom vient de science).
Là où il y a conscience, il y a capacité de science. La science est la conscience des genres. Dans la vie, nous avons affaire à des individus, dans la science à des genres. Or seul un être qui a pour objet son propre genre, sa propre essence, est susceptible* de constituer en objets, selon leur signification essentielle, des choses et des êtres autres que lui. C’est pourquoi l’animal n’a qu’une vie simple, tandis que l’homme a une vie double : chez l’animal la vie intérieure ne fait qu’un avec la vie extérieure ; l’homme au contraire a une vie intérieure et extérieure.
La vie intérieure de l’homme, c’est celle qu’il entretient avec son genre, son essence. L’homme pense, c'est-à-dire il converse, il parle avec lui-même. L’animal ne peut accomplir aucune fonction générique sans un autre individu extérieur à lui ; l’homme au contraire peut accomplir, sans personne d’autre, la fonction générique de la pensée, de la parole – penser et parler sont de véritables fonctions génériques. L’homme est pour lui-même simultanément Je et Tu. S’il peut se mettre à la place de l’autre, c’est précisément parce qu’il a pour objet, non pas son individualité, mais son genre, son essence.
*est susceptible = est capable
… : conscience au sens large
Ludwig Feuerbach, L'essence du Christianisme (1841)
Dans le texte de Feuerbach, on ne trouve pas le mot « raison ». Et pourtant c'est bien de la « raison », et donc de l'acte de « raisonner », dont il est question quand l'auteur précise que la faculté de penser chez l'être humain permet à celui non seulement de se penser (donc, soit en tant qu'individu, en tant que personne particulière) mais de penser l'espèce dont chaque humain, chaque humain est membre.
En effet le mot « humanité » désigne (comme chaque fois qu'il s'agit de penser une « espèce », qu'il s'agisse de « l'être humain » ou qu'il s'agisse de « l'être fourmi » ou de « l'être cafard » cf. Kafka, La Métamorphose) une totalité. À travers ces seules quatre syllabes j'ai pour objet (objet de ma pensée) tous les humains existants aujourd'hui, tous les humains ayant existé depuis la naissance d'Homo Sapiens il y a 315 000 ans ainsi que tous les humains qui existeront.

C'est pourquoi Feuerbach rappelle dans son texte que la science est ce domaine de pensée où c'est la raison qui est mobilisée, la faculté de raisonner (ce qui fait de cette démarche, la démarche dite « scientifique », une démarche rationnelle... « raison » vient du mot latin ratio). Et si l'auteur emploie le mot « conscience » c'est pour rappeler que celui-ci est dérivé du mot « science » (en réalité du verbe latin : scire).
En résumé, Feurbach revient sur ce qui est dit traditionnellement de l'esprit et de l'humain, à savoir que la pensée serait le propre de l'humain, et s'attache à définir précisément l'acte de penser pour justifier l'affirmation la plus « populaire » selon laquelle la pensée serait le propre de l'humain.
Le genre (gén-éral, gèn-e, gén-étique, gen-èse, ...) : l'ensemble de tous les éléments ayant les caractéristiques. ex : le « genre humain ».
L’essence : les caractéristiques propres à tous les éléments appartenant au même "genre".
Le mot français "esse-nce" vient du verbe latin esse : être.
Essence ¹ Existence
Puis-je me mettre à ta place ?
« L’homme est pour lui-même simultanément Je et Tu. S’il peut se mettre à la place de l’autre, c’est précisément parce qu’il a pour objet, non pas son individualité, mais son genre, son essence. »
La place de l’autre en moi…mais moi-même ne puis-je pas être autre, produire l’image en moi d’un autre moi, du moins d’une autre façon d’être moi, en jouant par exemple un « rôle », en interprétant un « personnage », en jouant à avoir une autre « personnalité ». Le mot « personne » ne signifie-t-il pas, en accord avec son étymologie latine (per-sona), «masque» ?
Individualité
Essence
A => B
On ne peut pas avoir B sans avoir A : relation de dépendance ou de conditionnalité (au sens où l’existence de B est la condition pour que A existe)
B : avoir conscience de sa propre essence
A : avoir conscience de l’essence d’êtres autres qu’humains, qui ont une autre essence
L’être humain a une raison, capable de concevoir son essence et de celles de toutes autres choses.
Feuerbach établit une corrélation entre la capacité, qui serait propre à l’humain, de penser sa propre essence et cette même capacité appliquée à d’autres choses ou d’autres objets que l’humain lui-même. Il tranche le sens de cette dépendance, ce serait la capacité de se penser qui conditionnerait la capacité de prendre d’autres êtres que soi-même, on pourrait tout aussi bien soutenir l’inverse et affirmer que c’est parce que les humains ont d’abord voulu penser d’autres éléments de la réalité qu’eux-mêmes (toutes les sciences expérimentales : physique, chimie, biologie), que les humains en sont venus à questionner leur propre essence : que sommes-nous donc, nous qui sommes capables de produire des connaissances aussi nombreuses sur des « objets » aussi divers.
Heidegger, Les concepts fondamentaux de la métaphysique : Une question est philosophique quand l’acte de questionner rejaillit sur celui qu’il questionne. »
Je / Tu - ego / alter ego
Feuerbach : humain = un être capable de penser l'identité et l'essence
L’individualité et le genre = chaque humain est un ego qui peut se mettre à la place d' alter ego (cf. l'expression : "se mettre à la place de l'autre"... "mets-toi à ma place")
« Vie intérieure' » : cette vie que toute conscience (= tout être doté d'une conscience au sens strict) vit en son "for intérieur".
Fort = la forteresse, la clôture, la délimitation qui rassemble en excluant
For = le mot latin forum (l’équivalent du grec : agora) = l'ouverture, la place où chacun, chacune, est le ou la bienvenue
Se mettre à la place de l'autre = demander à l'autre, et vouloir soi-même s'y rendre, d'entrer dans ce forum.
La conclusion semble simple et claire :
L’humain a accès à deux types d'objets pour sa pensée : l'individualité et le genre tandis que les autres vivants, dotés d'une conscience qui correspondant au concept de conscience mais au sens large (la sensibilité) n'ont accès qu'à un seul des deux objets : l'individualité.
Il y a des êtres capables de sentir et de concevoir, il y a des êtres capables seulement de sentir.
Problème : qu'est-ce que « sentir » sans avoir la capacité de conceptualiser ce que nous sentons ? Un humain n'en a pas l'expérience. Nous n'avons pas accès au « sentir » des autres vivants.
→ Deux questions inséparables : Qui suis-je ? Que suis-je ?
Arendt, extrait de La condition de l’homme moderne
Individualité, altérité et unicité
« La pluralité humaine, condition fondamentale de l’action et de la parole a le double caractère de l’égalité et de la distinction. Si les hommes n’étaient pas égaux, ils ne pourraient se comprendre les uns les autres, ni comprendre ceux qui les ont précédés ni préparés l’avenir et prévoir les besoins de ceux qui viendront après eux. Si les hommes n’étaient pas distincts, chaque être humain se distinguant de tout autre être présent, passé ou futur, ils n’auraient besoin ni de la parole ni de l’action pour se faire comprendre. Il suffirait de signes et de bruits pour communiquer* des désirs et des besoins immédiats et identiques.
L'individualité humaine n'est pas l'altérité (...). L’altérité sous sa forme la plus abstraite ne se rencontre que dans la multiplication pure et simple des objets inorganiques, alors que toute vie organique montre déjà des variations et des distinctions même entre spécimens d’une même espèce. Mais seul l’homme peut exprimer cette distinction et se distinguer lui-même ; lui seul peut se communiquer au lieu de communiquer quelque chose, la soif, la faim, l’affection, l’hostilité ou la peur. Chez l’homme l’altérité, qu’il partage avec tout ce qui existe, et l’individualité, qu’il partage avec tout ce qui vit, deviennent unicité, et la pluralité humaine est la paradoxale pluralité d’êtres uniques. »
Hannah Arendt, La condition de l'homme moderne (1961)
Attention : être non pas au d'exister mais au sens un être est ce qu'il est, un ceci ou un cela.
Les humains savent donner la définition de ce que sont certains êtres (essence), définition dans laquelle la non-existence de ces êtres est affirmée (les centaures n’existent pas).
Par exemple on sait définir un vampire et on sait qu’un vampire n'est pas un zombie, indépendamment du fait que ni le vampire ni le zombie n'existent. De même, une licorne n’est pas un centaure ou un sphinx. Pour le sphinx, voir Sophocle, Oedipe-Roi / tableau de Gustave Moreau (19ème s.)
Laïos, Jocaste, roi et reine de Thèbes
L’enfant Oedipe est confié (après son abandon) au roi et à la reine de Corinthe
Sphinx = 3 êtres en 1, simultanément
Humain = 3 êtres successivement
Monstruosité de l'humain, égale celle du sphinx : l'humain n'est pas moins monstrueux qu'un sphinx
Une énigme n'est pas une question mais, tout au contraire, la réponse à une question. L’énigme du sphinx livre la définition de l'humain, l'essence de l'humain, c'est-à-dire la réponse à la question : qu'est-ce qu'un humain ? pour résoudre l'énigme il faut donc non pas répondre à une question, mais se poser la question, la question de ce que nous sommes nous autres humains.
L'essence d'un groupe de choses c'est le fait que ces choses sont ce qu'elles sont (qu'elles soient ou non, qu'elles existent ou non)
Attention : une essence est commune à plusieurs choses, voire à des choses innombrables.
L'essence de l'humanité = ce que nous sommes toutes et tous
Mais ...mon "identité" c'est qui je suis, qui tu n'es pas
Mon humanité, c'est ce que j'ai en commun avec toi et toutes les autres, tous les autres
Mon identité est ce qui m'est propre
La question devient : puis-je me mettre à la place d'un ou d'une autre ? Qu’est-ce que l’empathie ? Comment consoler quelqu'un dont on ne vit pas soi-même la peine, le chagrin
cf. Le temps de la consolation, Michaël Foessel
Conclusion
Dans Saint Genet, comédien et martyr, Sartre écrit : “Ce qui est important ce n’est pas ce qu’on a fait de nous mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous”.
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Auteurs et autrices citées
Alain (20ème s.), Éléments de philosophie
Hannah Arendt (20ème s.), La condition de l'homme moderne
Emile Benvéniste (20ème s.), Problèmes de linguistique générale
Christian Bobin (20ème s.), Autoportrait au radiateur
Michaël Foessel (20-21ème s.), Le Temps de la consolation
Blaise Pascal (17ème s.), Pensées
Jean-Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr, Baudelaire