C.-O. Verseau professeur de philosophie

Proust / Où est déposé le souvenir que je ne me rappelle pas encore ?


« Je trouve très raisonnable la croyance celtique que les âmes de ceux que nous avons perdus sont captives dans quelque être inférieur, dans une bête, un végétal, une chose inanimée, perdues en effet pour nous jusqu’au jour, qui pour beaucoup ne viendra jamais, où nous nous trouvons près de l’arbre, entrer en possession de l’objet qui est leur prison. Alors elles tressaillent, nous appellent, et sitôt que nous les avons reconnues, l’enchantement est brisé. Délivrée par nous, elles ont vaincu la mort et reviennent vivre avec nous.
II en est ainsi de notre passé. C’est peine perdue que nous cherchions à l’évoquer, tous les efforts de notre intelligence sont inutiles. Il est caché hors de son domaine et de sa portée, en quelque objet matériel (en la sensation que nous donnerait cet objet matériel) que nous ne soupçonnons pas. Cet objet, il dépend du hasard que nous le rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le rencontrions pas »
Marcel Proust, A la Recherche du temps perdu (1913-1927)