C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

L'étonnement d'être soi / Individualité, altérité, unicité / Sartre

L' « apparition de la conscience de soi »

est-elle « vide » et « fortuite » ?


Dans cet extrait de son essai sur Baudelaire, Sartre conclut de façon surprenante, presque provocante, son commentaire d’un récit romanesque du surgissement, chez une enfant, de « la conscience de soi ». Ayant commencé par qualifier lui-même cette apparition de « bouleversante »(l.1), pour citer ensuite longuement les mots du romancier Richard Hugues évoquant jusqu’au sentiment de « terreur » (l.13, 16), Sartre semble relativiser l’importance de cet événement, intérieur à la vie de la conscience, voire réduire celle-ci à rien : « cette intuition fulgurante est parfaitement vide ».

Cependant le « vide » n’est pas le rien. Le vide est un espace ouvert par la forme d’un réceptacle qui le manifeste : ce sont les bords du réceptacle qui le font exister comme vide. S’il peut assurément donner le vertige, ce « vide » est un appel : appel à prendre possession de cette forme-réceptacle, à l’habiter, à y construire, à devenir soi. 

Le surgissement de « la conscience de soi », qui fait de chacune et chacun seulement un ou une parmi d’autres, à l’égal des autres, « pareil » (l.20) aux autres, est toutefois l’événement décisif, fondamental parce qu’il est inaugural de la quête de soi par soi. Telle est l’impénétrable énigme dont s’approchent ces quelque vingt lignes de Sartre : qui cherchera le « soi » si ce n’est soi-même? Et comment le soi se chercherait-il s’il ne s’était préalablement, dans le surgissement de la conscience d’être un soi, éveillé à soi? Alors la question devient : comment cette apparition, que Sartre qualifie de « fortuite », peut-elle à l’insu de soi se préparer ?  


1. Un « vide » fondateur


    L’acquisition de la « conscience de soi » est fondamentale pour un sujet, elle constitue celui-ci en tant que sujet, elle définit la subjectivité en elle-même. Un sujet n’acquiert donc pas la « conscience de soi » dans le même sens où le sujet peut prendre conscience de telle ou telle réalité, de tel ou tel objet dans le monde (sujet / objet). 

    La « conscience de soi » est le rapport à soi qui permet le rapport à tous les objets de conscience (au sens où le sujet fait siennes les relations qu’il a aux objets de sa conscience) comme le montre la distinction, proposée par Sartre dans La transcendance de l’ego, entre « conscience thétique » et « conscience non-thétique ». 

    « S’approprier » ses états de conscience. Notamment la mémoire, le récit. L’in-fans est celui dont les autres parlent, dont les autres racontent l’existence. A l’inverse, la « conscience de soi » est la conscience de la permanence du soi à travers des temps et des lieux différents : le sujet peut se rapporter à soi-même (se penser) dans un autre temps, dans un autre espace.  Pouvoir … quasi surnaturel …divin ! 

    Donc, la « conscience de soi » fait entrer le sujet dans une communauté de sujets où il n’est certes qu’un parmi d’autres tout en ouvrant néanmoins pour chaque sujet une trajectoire propre qui le rend unique. cf. individualité, altérité, unicité selon Arendt, La condition de l’homme moderne.


    2. « fortuite »?


    La « conscience de soi » est fondatrice de la subjectivité de tout sujet : comment un sujet non-encore constitué comme tel par l’acquisition de la « conscience de soi » pourrait-il « observer » son « apparition » (« chacun a pu observer dans son enfance l’apparition … ») ?

    Si elle ne peut être « observée», l’apparition de « la conscience de soi » est-elle cependant "fortuite"?  

« Jouer » : inventer des « personnages », faire parler ceux-ci, leur faire dire « je », « tu » 

« jouer à se faire une maison dans un recoin », jouer à se faire son « chez soi ». cf. Lacan, Ecrits « separare / se parere ». 

    Le jeu : instituer ses propres règles. Jouer faire exister des personnages. Leur donner voix, les faire parler. 


    3. Comment se prépare-t-on à 

devenir « sujet »?


     Expériences fondatrices : conscience du « je » invariant à travers les changements dont le « je » est témoin. Ou selon les mots de Kant dans son Anthropologie du point de vue pragmatique : " l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir"

    Le sentiment d’être observatrice, observateur, de la réalité : je ne suis pas les objets dont j’ai conscience. 

    Le caractère ineffable de la sensation (plaisir, douleur), du sentiment (joie, peine). La solitude. 


Conclusion


« Lassitude », ennui. Ennui et responsabilité : je m’ennuie quand je n’ai rien à « faire »… si ce n’est me demander, quand par ailleurs personne ne me com-mande de faire ceci ou cela, ce que moi je veux faire.