C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Pourquoi vouloir savoir ?



Déroulé du cours (janvier-février)


    C'est une évidence admise socialement, familièrement, scolairement : il faut, il faudrait "savoir" et, par conséquent, il faut, il faudrait "vouloir savoir". C'est une injonction présentée comme indiscutable. D’ailleurs, l’ignorance est socialement et, peut-être même consensuellement, blâmée. Il faudrait savoir, il faudrait ne pas être ignorant et si on l'est, il faudrait ne pas le rester.


Et pourtant, puisque c'est une affirmation, encore faudrait-il savoir "pourquoi vouloir savoir". Car, comme l'écrit Canguilhem dans La connaissance de la vie : "savoir pour savoir ce n’est guère plus sensé que manger pour manger, ou tuer pour tuer, ou rire pour rire, puisque c’est à la fois l’aveu que le savoir doit avoir un sens et le refus de lui trouver un autre sens que lui-même". Portant sur ce qui se présente comme une évidence, la question est donc plus qu’une simple interrogation, c’est une mise en question, peut-être une mise en cause, voire une accusation. Si j’ignore pourquoi je veux ...savoir (sauf à dire que c’est pour « avancer dans la vie » tout en ignorant ce que signifie « avancer » et surtout sans pouvoir préciser les critères pour évaluer cette « avancée », ce progrès), du moins pourrais-je savoir ce que « savoir » signifie. Après tout, ce mot n’entre-t-il pas dans la définition zoologique de ce que nous sommes, c’est-à-dire des représentants de l’espèce Homo sapiens au sein du genre Homo

Encore faudrait-il savoir, pour le moins, que le verbe latin sapere, dont sapiens est le participe présent, signifie non pas « savoir » mais « goûter, avoir le goût de», voire « avoir du goût ». Or goûter c’est avoir le goût, à l’intérieur de soi, des caractéristiques de la chose que l’on « goûte ». Autrement dit, connaître la saveur, la « sapidité », de quelque chose, c’est être affecté par le quelque chose que je goûte : goûter quelque chose, cela me fait quelque chose et, indissociablement, cela me « fait faire » quelque chose. Savoir, savoir vraiment, ce serait donc être appelé à agir. Si je trouvais « dé-goûtant » ce que je sais, ce que je savoure, ce que je goûte, ne me faudrait-il pas réagir, m’indigner, vouloir changer la réalité dont je m’indigne. A la lumière de l’étymologie du mot « savoir » et conformément à l’articulation entre « connaître » et « savoir » qu’elle semble impliquer, nous nous demanderons : que faisons-nous de ce que nous savons ? Autrement dit, mon action est-elle à la hauteur de ma connaissance ?


Ces considérations trouvent un écho tout particulier dans la situation globale, mondiale, que nous connaissons en 2021 et, mieux, dans les causes de cette situation. C’est pourquoi :

1. nous commencerons par rappeler lesdites causes de cette épidémie-pandémie (principalement, le fait que le phénomène de « zoonose «  se soit vu considérablement aggravé, amplifié, par l’anthropisation de la planète depuis la 1ère révolution industrielle au 19ème s.), ce qui nous conduira à nous étonner de ce que le vivant humain fait aux autres vivants et à la Terre où tous habitent – à nous étonner de l’humain, « l’être le plus déinon par les choses déina» (Sophocle, Antigone).

2. nous questionnerons la place de la philosophie, « amour de la sagesse », parmi les différents savoirs, les différentes sciences :comme semble le suggérer les 17 notions de programme de philosophie en Terminale, et tout particulièrement les 3 axes de lecture, la philosophie serait-elle l’étude de l’être humain, une sorte d’anthropologie ? L’humain serait-il l’objet de la philosophie ? Pourtant il n’en est rien car la philosophie n’est pas définie par un « quoi » (tel ou tel objet de savoir) mais par un « pourquoi » (la fin, le but, du savoir). La philosophie répond, dans son acte même, à la question : pourquoi vouloir savoir. La réponse ? Devenir « sage ».

3. nous serons donc logiquement conduit.es à constater que, si la philosophie se définit comme l’amour de la sagesse, elle ne définit pas pour autant ce qu’est la sagesse, en grec « sophia », « sapientia » en latin. Comment interpréter ce constat ? Pourquoi ne peut-on définir « la sagesse », la « sapience » (dans la langue du 16ème siècle, celle de Montaigne), sinon en rappelant l’intrication du faire et du connaître dans tout « savoir » ? Ces dernières considérations nous conduiront à questionner ce qu’on appelle « rationalité », en commençant par remarquer - les exemples ne sont, hélas, que trop nombreux – que agir « rationnellement » ne revient pas nécessairement à agir « raisonnablement ». La raison, ou ratio, pourrait-elle donc entrer en contradiction avec elle-même ?