« Connaître
c’est analyser. On le dit plus volontiers qu’on ne le justifie,
car c’est un des traits de toute philosophie préoccupée du
problème de la connaissance que l’attention qu’on y donne aux
opérations du connaître entraîne la distraction à l’égard du
sens du connaître. Au mieux, il arrive qu’on réponde à ce
dernier problème par une affirmation de suffisance et de pureté du
savoir. Et pourtant savoir pour savoir ce n’est guère plus sensé
que manger pour manger, ou tuer pour tuer, ou rire pour rire, puisque
c’est à la fois l’aveu que le savoir doit avoir un sens et le
refus de lui trouver un autre sens que lui-même.
Si
la connaissance est analyse ce n’est tout de même pas pour en
rester là. Décomposer, réduire, expliquer, identifier, mesurer,
mettre en équations, ce doit bien être un bénéfice du côté de
l’intelligence puisque, manifestement, c’est une perte pour la
jouissance. On jouit non des lois de la nature, mais de la nature,
non des nombres, mais des qualités, non des relations mais des
êtres. Et pour tout dire, on ne vit pas de savoir. Vulgarité ?
Peut-être. Blasphème ? Mais en quoi ? De ce que certains
hommes se sont voués à vivre pour savoir faut-il croire que l’homme
ne vit vraiment que dans la science et par elle».
Georges Canguilhem, La
connaissance de la vie (1952)