C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Philosophie et « Thermocène »

  La nouvelle époque géologique dans laquelle sont entrées les civilisations humaines et, avec elles, toutes les espèces vivantes concerne la réflexion philosophique pour une raison fondamentale.   

   Cette raison n’est pas le fait que :

  • cet événement géologique, médiatisé et vulgarisé sous l’expression « réchauffement climatique », constitue un problème d’actualité;
  • cet événement géologique produit actuellement des effets dans certaines régions du monde et provoque le déplacement de dizaines de millions de personnes; 
  • une extinction massive des espèces vivantes est actuellement en cours;
  • la communauté scientifique tente, actuellement plus que jamais, d’alerter les équipes gouvernementales de nombreux Etats - en Europe, en Amérique du Nord ou au Japon -, sur la gravité et la globalité de la situation; 
  • des initiatives venant de la société civile tentent actuellement l’alerter les responsables politiques sur une situation à venir menaçant la paix civile eu égard aux pénuries à prévoir; de nombreuses collectivités, Etats, Villes, Universités, ont déclaré en 2019 « l’état d’urgence climatique »;
  • les savoirs que nous nous transmettons n’ont pu empêcher cette situation actuelle, l’ont rendu possible et doivent se réformer si l’expression Homo Sapiens doit garder un sens.

La raison est que : 

cet événement géologique, dont certaines sociétés humaines portent historiquement la responsabilité, révèle chez l’humain un rapport au monde, un rapport aux autres êtres vivants et, d’abord, un rapport des humains entre eux, significatifs

Dans ce contexte, "significatif" veut dire "essentiel", c’est-à-dire propre à provoquer une interrogation sur « l’essence » de l’être humain, sur ce que veut dire « être humain » : qu’est-ce que l’humain si, dans son être, l’humain porte la possibilité de détruire ce qui est (vivant), de détruire ce qu’il est ?

C’est donc Homo Sapiens, que nous avons été, que nous sommes, que nous serons, qui est mis en question par cet événement géologique et qui est donc au centre du questionnement philosophique. 

       Qu’est-ce donc que l’être humain? « L’être la plus stupéfiant parmi les êtres stupéfiants » lit-on dans un passage de Antigone de Sophocle (dans le premier stasimon), commenté à travers tout au long de l’histoire de la philosophie :  

    « Beaucoup de choses sont stupéfiantes, mais rien n'est plus stupéfiant que l'homme. 
Il est porté par le Notos orageux à travers la sombre mer, au milieu de flots qui grondent autour de lui; il dompte, d'année en année, sous les socs tranchants, la plus puissante des déesses, Gaia, immortelle et infatigable, et il la retourne à l'aide du cheval.
L'homme, plein d'adresse, enveloppe, dans ses filets faits de cordes, la race des légers oiseaux et les bêtes sauvages et la génération marine de la mer; et il asservit par ses ruses la bête farouche des montagnes ; et il met sous le joug le cheval chevelu et l'infatigable taureau montagnard, et il les contraint de courber le cou.
Il s'est donné la parole et la pensée rapide et les lois des cités, et il a mis ses demeures à l'abri des gelées et des pluies fâcheuses. Ingénieux en tout, il ne manque jamais de prévoyance en ce qui concerne l'avenir. Il n'y a que Hadès auquel il ne puisse échapper, mais il a trouvé des remèdes aux maladies dangereuses.

Plus intelligent en inventions diverses qu'on ne peut l'espérer, il fait tantôt le bien, tantôt le mal, violant les lois de la patrie et le droit sacré des dieux. Celui qui excelle dans la ville mérite d'en être rejeté, quand, par audace, il agit honteusement. Que je n'aie ni le même toit, ni les mêmes pensées que celui qui agit ainsi !  »