C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

    Introduction de l'explication de texte

   Dans cet extrait de L’essence du Christianisme, Feuerbach se propose moins de chercher une réponse inédite à la question de « la différence essentielle entre l’homme et l’animal » (l.1) que de mettre en question la réponse ordinairement donnée : « c'est la conscience » (l.3). Comment définir le mot "conscience" s'il doit désigner une faculté spécifique et exclusive de l’homme ? Telle pourrait donc être la question de l’auteur qui se livre, concernant le concept de conscience, à une véritable analyse au sens étymologique de ce mot, c’est-à-dire une séparation, une délimitation.
    Feuerbach commence donc par montrer que « percevoir » (l. 5) n’est pas encore concevoir et qu’on ne saurait assimiler une simple sensibilité, ou « sentiment de soi » (l.9), à une « conscience »  à strictement parler (l. 1à 11). Cette première étape lui permet de distinguer deux rapports au réel selon qu’il s’agit tantôt de vivre parmi les êtres dans le monde tantôt de connaître ceux-ci ou, pour reprendre les mots de l’auteur, d’en faire « la science » (l. 11 à 18). Si tout être humain n’est pas physicien ou biologiste, mathématicien ou métaphysicien, du moins un sujet pensant peut-il raisonner et s’élever jusqu’à l’abstraction du concept à condition de commencer par s’abstraire de sa propre subjectivité, de sa propre «individualité» (l.25). D’où une troisième étape dans laquelle Feuerbach propose une dernière analyse, celle entre « vie extérieure » et « vie intérieure » (l.17). C’est parce qu’un sujet pensant et parlant (l.23) est capable de s’élever jusqu’à l’universalité du concept, notamment le concept d’humanité, qu’il peut accomplir l’acte de penser en tant que «je» tout en faisant valoir le point de vue d’un autre sujet, d’un «tu», en l’absence de celui-ci. Telle est une des opérations ordinaires de l’esprit humain.
   Les thèmes abordés explicitement ou implicitement par Feuerbach sont nombreux : le sujet, la conscience, autrui, la perception, le langage, la raison, le vivant, et potentiellement même la morale, même la politique. Pour respecter les distinctions successives proposées par Feuerbach, nous n’en retiendrons que trois : la conscience, la raison et l’esprit, sachant que c’est à travers eux que nous pourrons comprendre la portée de la thèse de Feuerbach, à savoir  : l’essence de l’humain est l’essence d’un être capable de concevoir des essences et, prioritairement (l. 14-15), l'essence de l'homme.

Conclusion de l'explication de texte

   "Il est fort peu probable, écrit Arendt au premier chapitre de The Human Condition, que, pouvant connaître, déterminer, définir la nature de tous les objets qui nous entourent  et qui ne sont pas nous, nous ne soyons jamais capables d'en faire autant pour nous mêmes : ce serait sauter par dessus notre ombre." Et, en effet, en conclusion de notre explication de cet extrait de L'essence du Christianisme, nous devons convenir que la seule définition que nous pourrions risquer concernant l'humain est d'affirmer qu'il est l'être par lequel tous les êtres peuvent être définis. 
   Certes, l'espèce humaine ne fait pas exister les autres espèces. Du point de vue de l'évolution des vivants l'espèce humaine est même plutôt, du moins jusqu'à présent, l'une des espèces les plus tardives. Mais l'espèce humaine est capable de se représenter chacune des espèces dans sa "signification essentielle" (l.15), y compris celles qui l'ont précédée à travers les ères géologiques et dont elle n'a jamais été contemporaine. 
   Si infime soit la place de l'espèce humaine à l'échelle des temps géologiques et des espaces astrophysiques, il reste que l'humain est une partie de l'univers capable de concevoir le tout, des totalités : par exemple chaque espèce d'êtres vivants en tant que totalité et même l'ensemble des espèces vivantes, le règne animal et le règne végétal tout entiers, et même le vivant indépendamment de toutes formes spécifiques, et la matière elle-même indépendamment de toutes compositions spécifiques.