Voici
une Introduction à la philosophie où, d'une part, on présentera le
type de sujets à l'épreuve du baccalauréat (1a) et l'ensemble des
thèmes qui constituent le programme (2a) ; où, d'autre part,
on se demandera ce qu'est la philosophie en partant d'un simple
constat : l'apprentissage de la philosophie a lieu «en
terminale», par conséquent «au terme» d'un
parcours d'acquisition des connaissances, c'est-à-dire à la toute
fin des études secondaires.
Comment
interpréter ce constat de telle façon à en déduire «ce
qu'est la philosophie» ?
Comprendre
ce qu'est la philosophie (la philosophie, c'est quoi?) à
partir de son moment (dans l'acquisition du savoir, c'est quand?),
autrement dit à partir de sa place dans l'ensemble des connaissances
(parmi toutes les disciplines, c'est où?), tel est l'objectif
de cette introduction.
1
L'année de l'examen final, une toute nouvelle discipline
Mettre
à l'étude une nouvelle discipline l'année même d'une évaluation
globale du parcours scolaire sur sept années, quelle idée !
Rappelons
que le baccalauréat, créé en 1808, sanctionne l'issue de
l'ensemble des études secondaires.
De ce fait, le diplôme ouvre l'accès à l'enseignement
supérieur et constitue ainsi « le
premier grade universitaire».
(Source :
Ministère de l'Education nationale)
a)
L'épreuve du baccalauréat [4-3-2-1]
4
heures d'épreuve pour 3 sujets au choix relevant de 2
types d'exercices (dissertation ou explication de texte) alors
que chaque candidat aura eu seulement 1 année pour s'y
préparer.
Outre
le fait qu'elle est nouvelle dans le parcours scolaire, la
philosophie est une discipline qui peut déconcerter, notamment par
le fait que le candidat devra consacrer beaucoup de temps à des
questions particulièrement brèves, accompagnées de documents peu
abondants, n'offrant que peu de « matériaux » : au
mieux, un texte d'une trentaine de lignes au plus, au pire une seule
phrase interrogative. Les sujets de la session de juin dernier ici.
Si peu de temps pour apprendre à donner à sa pensée tout son temps!
Or
ce caractère déconcertant est aggravé par le fait que le candidat
voit son expérience évaluée l'année même de son apprentissage.
b)
Du nouveau ou de l'ancien ? [La
philosophie ressemble-t-elle à la littérature ?]
L'incohérence
apparente qui consiste à faire de la seule année d'apprentissage
l'année même de l'évaluation pousse à se poser la question de
l'ancien dans le nouveau. Dans cette nouvelle discipline, tout est-il
donc nouveau ?
Ne
doit-on pas comprendre que, dans cette nouveauté, il y a de
l'ancien ? Car pourquoi
attendrait-on la fin
d'un parcours pour
entrer dans une nouvelle démarche si cette dernière ne consistait à
regarder le chemin parcouru et à rassembler toutes les étapes
antérieures - plutôt que de marcher encore et d'ajouter une
nouvelle étape?
En
ce sens, s'il y a de l'ancien dans cette discipline nouvelle, s'il
s'agit d'un autre regard sur des connaissances déjà acquises, ce
n'est donc pas seulement parce que, par ses thèmes ou par quelques
points de sa méthode, la philosophie rappellerait « le
français », c'est-à-dire l'étude de la littérature.
Nouvelle discipline étudiée en classe « terminale », la
philosophie n'arrive pas en effet dans le prolongement d'une seule
discipline, mais plutôt à la fin d'un parcours d'au moins sept
années d'étude dans lequel chaque discipline aura trouvé sa place
et son moment.
c)
Nouvelle discipline, nouvelle « matière » ?
[connaissance et choses
connues]
La philosophie serait-elle une nouvelle connaissance ? Une nouvelle pierre à l'édifice, une nouvelle pièce dans la maison du savoir ? Y aurait-il donc un domaine de choses qui nous aurait échappé tout au long d'un parcours de années d'exploration ?
Nombreuses
sont en effet « les matières », les domaines de choses à
connaître, autrement dit les objets d'étude.
Avec
un approfondissement certes variable (selon l'orientation scolaire
choisie), chacun d'entre nous est conduit à travers son parcours
d'étude à explorer, par exemple, le domaine des corps physiques, de
« la matière », des atomes, des molécules (en « faisant
de » la physique, de la chimie), des corps vivants (en « faisant
de » la biologie, ou des « sciences de la vie et de la
terre »), des nombres (en « faisant de »
l'arithmétique), de l'espace (en « faisant de » la
géométrie), des règles de raisonnement (les mathématiques, la
logique), des activités humaines (histoire, géographie, sciences
sociales, sciences économiques, des sciences politiques, etc.).
Telle
est l'acception précise du mot « matière », qui devrait désigner la
chose à connaître, l'objet étudié, non pas l'acte de connaître
lui-même ou la démarche d'étudier elle-même (qu'il serait plus
rigoureux d'appeler « discipline »). D'ailleurs, c'est en
fonction du domaine de choses qu'elles veulent connaître qu'on
répartit traditionnellement les connaissances, ou « disciplines »,
ou « sciences ».
C'est
ainsi qu'on distingue :
- les sciences de l'homme : anthropologie, psychologie, ethnologie, linguistique, histoire, géographie, sciences sociales, sciences économiques, sciences politiques, etc.
- les sciences expérimentales : physique, chimie, biologie
- les sciences hypothético-déductives : mathématiques, logique
D'où
la question : si l'apprentissage de la philosophie arrive au
terme du parcours, « en terminale », cela signifierait-il
qu'un domaine de choses aurait été jusqu'alors oublié, comme
négligé par notre volonté de savoir? Y aurait-il dans l'ensemble
de la réalité un domaine de choses délaissé et resterait-il dans
cette classification une place à occuper ?
2
Les thèmes du programme de philosophie
Loin
de dévoiler un objet d'étude inédit, les thèmes du programme convergent tous vers « la chose » sinon la mieux connue,
du moins souvent étudiée (en histoire, démographie, géographie,
économie, sociologie, etc.) : les êtres humains.
a)
Des facultés, des activités, des institutions, des valeurs, toutes humaines
Les
thèmes du programme peuvent en effet se répartir ainsi :
- des facultés humaines : la liberté, le désir, la conscience, la raison, l'esprit, le langage
- les activités, les actes ou actions, les pratiques, les façons d'être ou les façons de faire que leurs facultés permettent aux êtres humains d'avoir, d'accomplir : les échanges, l'art, la technique, la démonstration, la théorie, l'expérience, l'interprétation, etc.
- les valeurs qui justifient pourquoi l'humain veut faire ce qu'il fait : le bonheur, le bien (la morale), la beauté (l'art), la vérité, la justice, le sacré (la religion), autrement dit le bon, le bien, le beau, le vrai, le juste, le sacré
- les institutions humaines, les récits et discours humains qui établissent et soutiennent ces valeurs, ces idéaux, ces modèles : la culture, la religion, l'histoire, la politique, l'Etat, le droit, la morale.
b)
un thème central sous-jacent : l'humain
L'humain
apparaît donc comme le thème central du programme de philosophie,
soit que certains thèmes concernent l'humain en priorité tout en
concernant d'autres êtres par ailleurs, soit que d'autres thèmes
concernent l'être humain exclusivement.
D'aucuns
pourront penser que d'autres êtres vivants ont un « langage »,
voire une « conscience », peut-être des « désirs ».
Mais chacun accordera que « l'inconscient »,
« l'histoire », « la religion », « l'art »,
« la raison », « l'Etat », « la
vérité », « la démonstration », « le
droit », « la justice », « le devoir »
ne peuvent concerner que l'être humain.
c)
Ce que l'être humain est ou ce qu'il croit être ?
Et inversement, même si on objectait que certains thèmes ne s'appliquent que de façon abusive à l'humain, parce que les facultés ou les valeurs que ceux-ci désignent seraient de simples illusions, cela ne ferait que rattacher à l'humain plus étroitement encore l'étude de ce thème.
En
effet, même en protestant que la liberté ou la justice n'existe
pas, que le véritable amour ou l'amitié sincère n'existe pas
davantage, il faudrait néanmoins convenir que l'humain est donc cet
être capable de s'imaginer autre qu'il n'est en réalité,
capable par exemple de nourrir l'illusion qu'il est un être libre
ou encore un être animé par l'idéal de justice, etc. -
illusion qui constitue derechef une de ses caractéristiques
essentielles : pourquoi faudrait-il, afin de le faire, donner à
ce que nous faisons un autre sens que le sens réel?
3
La philosophie serait-elle une science humaine, la « science de
l'homme » ?
a)
Géo-logie, bio-logie, anthropo-logie, etc.
Si,
à partir du programme de terminale, on devait déduire ce qu'on
étudie en philosophie, on serait amené à penser que la philosophie
est l'étude de l'être humain. En effet, tous les thèmes semblent
s'y rapporter, soit que certains semblent pouvoir concerner aussi
d'autres êtres vivants que l'humain tout en concernant
prioritairement celui-ci, soit que certains concernent l'être humain
exclusivement.
Or
toute science se définit par son objet d'étude comme en témoigne
le nom même par lequel on appelle chacune des sciences.
Ainsi tout semble s'éclairer. A la question : qu'est-ce que la philosophie ?, la réponse serait : la philosophie est la science de l'être humain, comme si la question qu'on se pose principalement en philosophie était : qu'est-ce que l'être humain ?, comme si la question de la définition de l'homme était au cœur de la philosophie.
b)
La « philo-sophie » n'est ni l'« anthro-pologie »
ni même aucune « logie »
Or deux objections s'opposent à une telle définition de la philosophie comme étude des êtres humains.
D'abord,
il existe déjà une science qui a pour objet d'étude de
l'humain, c'est-à-dire « anthropos » en grec. Cette
science est l'anthropologie.
Et,
par ailleurs, la philosophie n'est pas définie comme une « logie »
sur, comme une étude visant la connaissance de telle ou telle chose.
Elle est définie comme une « philia », c'est-à-dire un désir. Or le « quoi » (ce que l'on veut connaître) n'est pas
encore un « pourquoi » (pourquoi on veut connaître
ce qu'on veut connaître). Telle est la différence, capitale, entre
la question : que voulons-nous savoir ? et la question :
Que désirons-nous ? Cette différence est capitale car seule la
seconde question permet de savoir pourquoi nous faisons ce que nous
faisons et, tout particulièrement, pourquoi nous voulons acquérir
des connaissances sur un domaine donné.
Que
quelqu'un s'efforce d'acquérir des connaissances en biologie ou en
physique nucléaire, cela ne permet pas de préjuger du sens de sa
démarche, c'est-à-dire du « pourquoi », du sens et de
la valeur de ses efforts, en bref de son désir. La question se
posera par exemple de savoir s'il désire mettre sa connaissance au
service du soin ou au service de la violence, s'il désire que ses
connaissances contribuent par exemple à construire des armes ou, tout au
contraire, à alimenter en énergie des hôpitaux et des écoles ?
Dans Laconnaissance de la vie Canguilhem remarque que, concernant les connaissances, notre attention se porte exclusivement sur la question : comment connaître ? et néglige la question : pourquoi désirons-nous la connaissance : « l’attention qu’on donne aux opérations du connaître entraîne la distraction à l’égard du sens du connaître. »
Dans Laconnaissance de la vie Canguilhem remarque que, concernant les connaissances, notre attention se porte exclusivement sur la question : comment connaître ? et néglige la question : pourquoi désirons-nous la connaissance : « l’attention qu’on donne aux opérations du connaître entraîne la distraction à l’égard du sens du connaître. »
Or
dans le mot « philosophie » on ne trouve aucune
indication des choses qu'on voudrait connaître
(est-ce la matière ? L'esprit ? les corps, les âmes ?
le monde, le vivant ? etc.). Ce n'est pas le « quoi »
du connaître qui est indiqué, mais le quoi du désir. Déclarer que
nous désirons la sagesse (« sophia » en grec), que ce
que nous désirons, avant tout, c'est devenir sage, c'est mettre au
premier plan la question de savoir pourquoi nous voulons savoir, non
pas ce que nous voulons savoir.
c) Philosophie et humanité
Puisque la philosophie ne peut être définie comme une science de l'homme, pourquoi la philosophie met-elle l'humain au centre de sa réflexion ? Qu'est-ce que l'humanité a donc de si spécial qui doive retenir l'attention ? Qu'a-t-elle de si étonnant ?
c) Philosophie et humanité
Puisque la philosophie ne peut être définie comme une science de l'homme, pourquoi la philosophie met-elle l'humain au centre de sa réflexion ? Qu'est-ce que l'humanité a donc de si spécial qui doive retenir l'attention ? Qu'a-t-elle de si étonnant ?
Répondre
que, se définissant comme désir de sagesse, la philo-sophie se doit
d'étudier le seul être qui recherche la sagesse ne serait pas
convaincant. Car la sagesse veut peut-être l'humilité et l'humilité demande
qu'on considère autre chose que soi à part soi et avant soi !
Par désir de sagesse le philosophe pourrait donc, tout au contraire,
être invité à étudier d'autres réalités que les êtres
humains !
Pourquoi
donc l'humain se présente-t-il comme l'objet privilégié de la
réflexion philosophique si, par ailleurs, la philosophie ne se
définit pas comme une étude de l'humain ? La question reste
posée sans pouvoir, dans le cadre d'une simple introduction,
recevoir une réponse.
En
revanche, un constat peut être fait. Humanité et philosophie sont
liées entre elles par une commune caractéristique, d'être
toutes deux étranges, bizarres, spéciales, étonnantes.
C'est
d'ailleurs à la même époque, celle des origines de la philosophie
telle que nous la pratiquons encore aujourd'hui, que deux auteurs
majeurs insistèrent sur le double fait que parmi les choses
étonnantes l'humain est la chose la plus étonnante et que la
philosophie n'a lieu que dans l'étonnement : Sophocle dans sa
pièce Antigone et Platon
dans son dialogue intitulé Théétète.
Conclusion
A
présent, nous savons pourquoi l'apprentissage de la philosophie ne se fait pas avant la «terminale».
En
effet la philosophie n'est pas une nouvelle connaissance au sens où
elle porterait sur un nouveau domaine de choses. Elle est une
nouvelle connaissance parce qu'elle est un regard sur les autres
connaissances, qui doivent donc être préalablement acquises. Elle est nouvelle
parce qu'elle pose une question non encore posée : la question
du sens de toute connaissance, de toute volonté de savoir. Elle met
en question la direction que nous devrions donner à nos
connaissances. Faire de la philosophie n'est donc pas encore savoir
sur quelles choses doivent porter nos connaissances, mais c'est au
moins savoir pourquoi nous pourrions vouloir acquérir telles ou
telles connaissances et, peut-être, pourquoi nous pourrions ne pas
vouloir acquérir telles ou telles autres connaissances.
D'un
autre côté, même si nous ne savons pas encore ce que nous devons
étudier en philosophie, nous devons constater que la réflexion
philosophique est toujours reconduite vers l'être humain, « l'être
le plus étonnant parmi les êtres étonnants» selon Sophocle.
Mais,
« le plus étonnant de tous les êtres », l'être humain
l'est-il du fait des caractéristiques spécifiques qui le
définissent ? Ou l'est-il du fait que, n'en ayant aucune propre
à lui, il peut s'étonner, tel un philosophe, des caractéristiques
que présentent tous les autres êtres, si étonnants, si étranges,
si admirables, mais tellement moins encore que cet être qui peut
s'étonner de tous les êtres réunis !
La
question de la définition de la philosophie renvoie donc à la
question de la définition de l'être humain. Comment définir l'humain sans porter
atteinte au titre que lui confèrent Sophocle et, à sa suite, de
nombreux philosophes comme l'écrit Pic de la Mirandole dans De la dignité de l'homme?