C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Éléments de psychopathologie de la vie pédagogique ordinaire : « la gestion du stress à l’école »

  « Stress » pour « angoisse ». 

   « Stress » pour « peur ».

   « Stress » pour « mal-être ».  

   « Stress », un anglicisme qui souvent permet aux francophones de nommer sans dire et aux enseignant.es d’entendre, parfois, sans écouter. C’est un mot qui faute de mieux se substitue à d’autres, qui souvent met fin à l’échange, à la recherche, à l’aide. Le mot et ses sous-entendus désignent un quelque chose à « gérer ».

   Quelles seraient donc les raisons chez les lycéens et lycéennes d’être, en général, « stressées » et d’être parfois, souvent?, dans un état de sidération face aux exigences propres au chemin de vie et d’étude sur lequel nous, enseignantes et enseignants, « stressé.es » nous-mêmes, nous les accompagnons?

   Quoi d’autre que, autre expression pauvre en signification, une « crise d’adolescence »? 

   Même en en restant à ces usages lexicaux désuets, et irresponsables, qui ne comprendrait pourtant qu’une « crise d’adolescence » vécue sur fond d’une crise sociale et écologique, crise doublement systémique - identifiée comme telle, nommée, médiatisée, sinon analysée par les lycéens et lycéennes - n’a pas le même sens, la même portée, qu’une « crise d’adolescence » vécue, dix, vingt ou quarante ans plus tôt par leurs propres enseignants et enseignantes dans un tout autre contexte ?

   Certes nous vivions d’ores et déjà dans le même monde. 

   Ou, comme on voudra l’appeler, dans le même non-monde. 

   Un monde où la violence est systémique : des vivants humains contre tous les autres vivants, des sociétés humaines contre d’autres sociétés humaines, des hommes contre les femmes, des adultes contre les enfants. Un monde où le vivant, humain et non-humain, est envisagé comme une ressource exploitable, simple force de travail et produit de consommation. 

   Mais nous n’avons pas vécu dans nos jeunes années la déflagration produite par la conscience d’être entré.es, et depuis longtemps, dans l’époque géologique de l’Anthropocène, dans l’ère des féminicides, dans l’âge du Harcèlement-Cause-Nationale, dans « l’école de la violence » (Betharram), l’hôpital de la violence (Joël Le Scouarnec), la conjugalité de la violence (Dominique Pélicot), la famille française incestueuse (Laëtitia Perrais), les intrusions avec effraction de la violence géopolitique dans les établissements scolaires (Samuel Paty 2020, Dominique Bernard 2023), et les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, chaque jour documentés, chaque jour médiatisés. 

   Quand nous avions vingt ans, nous n’avons pas été les contemporains de la sur-remilitarisation généralisée présentée aujourd’hui comme la seule issue à une « crise » géopolitique globalisée, nous n’observions pas la contagion, dans la représentation politique, des régimes dictatoriaux et, dans les discours, de la banalisation du racisme, de la xénophobie, de la haine des intellectuel.les et de la misologie.

   Nous, enseignants et enseignantes, sommes de ce monde au sens où nous en venons, où nous l’avons fait, où nous le leur transmettons. 

   Lycéens et lycéennes y naissent. 

   Ils et elles y viennent et doivent, chaque jour, constater la co-responsabilité passée de leurs ainé.es, les déclarations embarrassées de leur impuissance présente, leur silence collectif et, en ce qui concerne le « personnel enseignant », un collégial silence. 

   Nous ne savons pas encore leur montrer que nous nous en parlons. 

   Nous livrons lycéennes et lycéens à la solitude générationelle de la solastalgie.

   Nous, enseignants et enseignantes, demandons à nos administrations respectives d’instituer et d’organiser des temps de rencontre transdisciplinaire, répétés et réguliers, afin que nous prenions collégialement notre part et notre responsabilité à la réflexion, à la prise de conscience.

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Psychopathology elements of ordinary educational life: 

“stress management at school”.

   “Stress” for “anxiety”. 

   “Stress” for “fear”.

   “Stress” for “unwell”.  

 “Stress”, an anglicism that often allows francophones to name without saying and teachers to hear, sometimes, without listening. It is a word that, for lack of better, substitutes for others, which often puts an end to the exchange, to the search, to the help. The word and its implication means something to “manage”.

   What would be the reasons for high school students to be, in general, “stressed out” and to be sometimes, often? , in a state of bewilderment in the face of the demands of the life and study path on which we, teachers, “stressed out” ourselves, accompany them?

   What other than, another expression lacking in meaning, a “teen crisis”? 

   Even by sticking to these obsolete and irresponsible lexical uses, who wouldn’t understand that a «crisis of adolescence» lived on the background of a social and ecological crisis, a doubly systemic crisis - identified as such, cannot have the same meaning, the same scope as a «crisis of adolescence» experienced ten, twenty or forty years ago by their own teachers in a completely different context?

   Of course, we were already living in the same world. 

   Or, as you like to call it, in the same non-world. 

   A world where violence is systemic: human versus other living beings, human versus other human societies, men versus women, adults versus children. A world where the living, human and non-human, is considered by some societies as an exploitable resource, simple labor force and consumer product. 

   But we did not live in our young years the deflagalization produced by the consciousness of having entered.es, and long ago, in the geological epoch of the Anthropocene, in the era of femicides, in the age of Harassment-Cause-National, in the «school of violence» (Betharram), the hospital of violence (Joël Le Scouarnec), the conjugality of violence (Dominique Pélicot), the incestuous French family (Laëtitia Perrais), intrusions with break-in of geopolitical violence in schools (Samuel Paty 2020, Dominique Bernard 2023), and war crimes, crimes against humanity, documented every day, publicized every day. 

   When we were twenty, we were not the contemporaries of the generalized over-remilitarization presented today as the only way out of a globalized geopolitical «crisis», we did not observe contagion in political representation, of dictatorial regimes and, in speeches, the trivialisation of racism, xenophobia, hatred of intellectuals and misology.

   We, teachers, are of this world in the sense that we come from it, where we have done it, where we pass it on to them. 

   High school students were just born there. 

   They come and must, every day, see the past co-responsibility of their elders, the embarrassed statements of their present impotence, their collective silence and, as far as the “teaching staff” is concerned, a collegial silence. 

   We, teachers, don’t yet know how to show them that we are together talking about it. 

   We deliver high school students to the generational loneliness of solastalgia.

   We, teachers, ask our respective administrations to institute and organize times of transdisciplinary meeting, repeated and regular, so that we collectively take our part and responsibility for reflection, awareness.