« La
parole et l’action révèlent cette* unique individualité. C’est
par elles que les hommes se distinguent au lieu d’être simplement
distincts ; ce sont les modes sous lesquels les êtres humains
apparaissent les uns aux autres, non certes comme des objets
physiques, mais en tant qu’hommes. Cette apparence, bien différente
de la simple existence corporelle, repose sur l’initiative, mais
une initiative dont aucun être humain ne peut s’abstenir s’il
veut rester humain. Ce n’est le cas pour aucune autre activité de
la vita activa.
Les hommes peuvent fort bien vivre sans travailler, ils peuvent
forcer autrui à travailler pour eux et ils peuvent fort bien décider
de profiter et de jouir du monde sans y ajouter un seul objet utile ;
la vie d’un exploiteur ou d’un esclavagiste, la vie d’un
parasite, sont peut-être injustes, elles sont certainement humaines.
Mais une vie sans parole et sans action – et c’est le seul mode
de vie qui ait sérieusement renoncé à toute apparence et à toute
vanité au sens biblique du mot – est littéralement morte au
monde ; ce n’est plus une vie humaine, parce qu’elle n’est
plus vécue parmi les hommes. »
Hannah
Arendt,
La
condition de l'homme moderne (p.232-233,
tr. G.
Fradier), 1961