« Et
qu’est-ce que la fragilité sinon une certaine probabilité de
non-être pour un être donné dans des circonstances déterminées ?
Un être est fragile s’il porte en son être une possibilité
définie de non-être. Mais derechef c’est par l’homme que la
fragilité arrive
à l’être, car la limitation individualisante que nous
mentionnions tout à l’heure est condition de la fragilité :
un être
est fragile et non pas tout
l’être qui est au-delà de toute destruction possible. Ainsi le
rapport de limitation individualisante que l’homme entretient avec
un être sur le fond premier de son
rapport à l’être fait arriver la fragilité en cet être comme
apparition d’une possibilité permanente de non-être. Mais ce
n’est pas tout : pour qu’il y ait destructibilité, il faut
que l’homme se détermine en face de cette possibilité de
non-être, soit positivement, soit négativement ; il faut qu’il
prenne les mesures nécessaires pour la réaliser (destruction
proprement dite) ou, par une négation du non-être, pour la
maintenir toujours au niveau d’une simple possibilité (mesures de
protection). Ainsi c’est l’homme qui rend les villes
destructibles, précisément parce qu’il les pose comme fragiles et
comme précieuses et parce qu’il prend à leur égard un ensemble
de mesures de protection. Et c’est à cause de l’ensemble de ces
mesures qu’un séisme ou qu’une éruption volcanique peuvent
détruire
ces villes ou ces constructions humaines. Et le sens premier et le
but de la guerre sont contenus dans la moindre édification de
l’homme. Il faut donc bien reconnaître que la destruction est
chose essentiellement humaine et que c’est l’homme
qui détruit ces villes par
l’intermédiaire des séismes ou directement, qui détruit ses
bateaux par l’intermédiaire des cyclones ou directement ».
Sartre,
L’être et le néant
(1938)