C.-O. Verseau professeur de philosophie

Sartre / Fragilité, destruction, violence


« Et qu’est-ce que la fragilité sinon une certaine probabilité de non-être pour un être donné dans des circonstances déterminées ? Un être est fragile s’il porte en son être une possibilité définie de non-être. Mais derechef c’est par l’homme que la fragilité arrive à l’être, car la limitation individualisante que nous mentionnions tout à l’heure est condition de la fragilité : un être est fragile et non pas tout l’être qui est au-delà de toute destruction possible. Ainsi le rapport de limitation individualisante que l’homme entretient avec un être sur le fond premier de son rapport à l’être fait arriver la fragilité en cet être comme apparition d’une possibilité permanente de non-être. Mais ce n’est pas tout : pour qu’il y ait destructibilité, il faut que l’homme se détermine en face de cette possibilité de non-être, soit positivement, soit négativement ; il faut qu’il prenne les mesures nécessaires pour la réaliser (destruction proprement dite) ou, par une négation du non-être, pour la maintenir toujours au niveau d’une simple possibilité (mesures de protection). Ainsi c’est l’homme qui rend les villes destructibles, précisément parce qu’il les pose comme fragiles et comme précieuses et parce qu’il prend à leur égard un ensemble de mesures de protection. Et c’est à cause de l’ensemble de ces mesures qu’un séisme ou qu’une éruption volcanique peuvent détruire ces villes ou ces constructions humaines. Et le sens premier et le but de la guerre sont contenus dans la moindre édification de l’homme. Il faut donc bien reconnaître que la destruction est chose essentiellement humaine et que c’est l’homme qui détruit ces villes par l’intermédiaire des séismes ou directement, qui détruit ses bateaux par l’intermédiaire des cyclones ou directement ».


Sartre, L’être et le néant (1938)