« Je
trouve très raisonnable la croyance celtique que les âmes de ceux
que nous avons perdus sont captives dans quelque être inférieur,
dans une bête, un végétal, une chose inanimée, perdues en effet
pour nous jusqu’au jour, qui pour beaucoup ne viendra jamais, où
nous nous trouvons près de l’arbre, entrer en possession de
l’objet qui est leur prison. Alors elles tressaillent, nous
appellent, et sitôt que nous les avons reconnues, l’enchantement
est brisé. Délivrée par nous, elles ont vaincu la mort et
reviennent vivre avec nous.
II
en est ainsi de notre passé. C’est peine perdue que nous
cherchions à l’évoquer, tous les efforts de notre intelligence
sont inutiles. Il est caché hors de son domaine et de sa portée, en
quelque objet matériel (en la sensation que nous donnerait cet objet
matériel) que nous ne soupçonnons pas. Cet objet, il dépend du
hasard que nous le rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le
rencontrions pas »
Marcel
Proust, A la Recherche du
temps perdu (1913-1927)