C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Cet obscur objet du désir

      Quelques remarques préalables éclairant la thèse selon laquelle l'expérience du désir mettrait essentiellement enrelation deux sujets désirants. Ce qu'un sujet désire serait, au fond, un autre sujet, un autre sujet considéré non pas comme un sujet désirable mais comme un sujet lui-même désirant.
  •     Premier sujet d'étonnement concernant le désir, et la peur, chez l'homme : l'homme peut désirer toute chose (y compris ce qui peut lui être nuisible) comme il peut avoir peur de toute chose (y compris de ce qui est inoffensif). D'où la question : essentiellement, fondamentalement, quel est donc  l'objet du désir humain ? Quel est l'objet qui est commun à tous ces objets, qui est au fond de tous, qui fait qu'ils sont désirables? Est-ce encore un objet? cf. le film : Cet obscur objet du désir (1977) de Luis Buñuel, réalisateur d'origine espagnole, naturalisé mexicain (1900-1983).  Serait-ce donc un nouvel objet désirable ou serait-ce un sujet, un sujet qui désire, c'est-à-dire non pas quelque chose ou même quelqu'un mais un acte, non pas une substance (désirable, désirée) mais une instance (désirante) ?
  • Besoin, be-soin : même les besoins les plus élémentaires, les plus vitaux mettent encore en jeu des relations humaines, intersubjectives (= entre plusieurs sujets), qui relient, confrontent parfois (on peut désirer faire le contraire ce que d'autres attendraient), des intentions, des attentions, des attentes, des "tensions" (se "tendre" vers, avoir un "penchant", une "inclination"), c'est-à-dire  des désirs. La santé, la guérison demande un soin qui est essentiellement une relation entre sujets. Car la volonté de guérir chez l'un est soutenue par la volonté, chez l'autre, qu'il guérisse. 
  • L'effet placebo. « Sir Joseph Olliffe, médecin de la cour de Napoléon III, prescrivait contre l'impuissance et la frigidité le mélange : « Aqua fontis (60 g) - Illa repetita (40 g) - Idem stillata (10 g) - Hydrogeni protoxyde (0,30 g) - Nil aliud (1,25 g) : 5 gouttes avant chaque repas. ». Malgré de brillants résultats, il fut disgracié quand un latiniste eut éventé la mèche. Car sous les noms savants se cachaient toujours le même ingrédient18: Aqua fontis (eau de fontaine) Illa repetita (la même répétée) Idem stillata (la même distillée) Hydrogeni protoxyde (H2O : formule chimique de l'eau) Nil aliud (rien autre chose) ». Article placebo de Wikipédia, l'encyclopédie libre et gratuite. 
  • L'appetit vient autant en voyant manger qu'en mangeant soi-même. La mère ouvre elle-même la bouche en alimentant le nourrisson. (Quignard, Le nom sur le bout de la langue, "Petit traité sur Méduse"). Etre le dernier à avoir des bonbons : mon désir se soutient de l'envie d'autrui.
  • Y a-t-il un "objet" sexuel? Déviances et aberrations selon Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle. C'est parce que l'objet figure un sujet qu'il est si variable; et c'est parce qu'il figure un sujet que l'objet sexuel n'est pas anatomiquement, physiologiquement, génitalement déterminé.
  • "Les yeux dans les yeux". Les yeux, le regard. Le baiser. Le visage. Quand on se regarde "les yeux dans les yeux", précisément on ne voit plus ...les yeux. Regarder l'autre ce n'est pas voir quelque chose, des yeux, c'est regarder quelqu'un regardant (c'est pourquoi il y a "garder", avoir des "é-gards" dans "regarder" / à la différence d'une simple "observation", d'une "inspection", d'un "examen"). De même, donner un baiser n'est pas déposer ses lèvres sur quelque chose, fût-ce une bouche, mais c'est atteindre quelqu'un qui donne lui-même un baiser. C'est pourquoi les lèvres de l'un cherchent celles de l'autre. Et il en va des bras comme des lèvres : dans une embrassade, l'un embrasse l'autre embrassant, ce qui s'appelle "se prendre dans les bras". Ce n'est pas par souci de réciprocité, d'échange (...je ne t'embrasse que si tu m'embrasses) c'est parce que c'est le seul moyen d'atteindre l'autre en tant que sujet, sujet qui embrasse (instance, non pas substance caractérisée par des propriétés).
  • Le désir n'est pas un verbe transitif : désirer n'est pas désirer quelque chose ou même quelqu'un, c'est désirer un désir, c'est-à-dire adresser son désir à un autre désir, le recontrer, s'y opposer, s'y poser, s'y confronter. Analogiquement, on pourrait dire que désirer ce n'est pas dire, dire ceci ou cela (transifif),  que parler, parler à quelqu'un qui parle (intransitif).
  • Le corps comme signe du désir (indice volontaire ou non), le corps expressif : ce n'est pas le corps qui est désiré mais, à travers le corps, c'est le désir.
    La chose (l'objet marchand par exemple) est aussi le signe du désir d'autrui puisque j'ai "envie" de cette chose du seul fait que je crois savoir qu'autrui la désire (je le déduis du fait qu'autrui en a la jouissance). Cependant, à la différence de l'objet, le corps n'est pas désiré par autrui mais celui-ci exprime son désir. Le corps ne médiatise pas le désir comme le fait une chose dont on a la jouissance.
Approcher quelqu'un par le toucher ce n'est pas "entrer en contact", comme on entre en contact avec une chose (qui a telles propriétés : lisse, rugueux, chaud ou froid)  mais c'est toucher un sujet lui-même sensible, touchant, qui attribue un sens à sa sensation, qui a des sentiments, des émotions, qui ne seront connus d'autrui que s'ils sont exprimés, signifiés. Toucher, « tact » et contact : il est à remarquer que ce qu'on appelle « tact », sorte de sens du toucher moral, désigne une attitude par laquelle l'un s'adresse à l'autre en ménageant sa susceptibilité, ses attentes, ses espérances, ses désirs.
  • Des mots : 1. "désir", "envie", "besoin", 2. "jouissance", "possession", "propriété" 3. Réaliser, satisfaire, combler 4. Bonheur, contentement, béatitude, félicité, joie, plaisir, volupté.