Amin Maalouf (1949 - ), Les identités meurtrières (1998)
« être
un renégat » : avoir choisi l'autre camp comme si
l'un excluait l'autre » , comme si la traîtrise était de
s'éloigner de ses proches, de son milieu originel mais donc aussi
de soi-même, de son premier « soi », de son identité
première, originelle, « véritable ». Présupposé :
le vrai est dans l'origine, dans un fond originel, une origine
substantielle.
« Substance » :
ce dont je serais fait, la pâte qui me composerait.
Comment
expliquer la hargne, la rage, avec lesquelles on accueille les
changements chez l'autre (déplacement géographique, diversité dans
les activités, etc.) ?
- ce que l'autre fait n'est pas seulement différent, ce serait mieux (parce que ce qu'il fait suppose un savoir-faire, des compétences, plus … savantes : il faut en savoir plus que je ne sais moi-même, plus et non pas seulement d' « autres choses »
- mais, plus simplement, plus radicalement, la différence (faire autre chose, être ailleurs, faire autrement les mêmes choses) impose une première blessure ou, au moins, une première exigence : puisque l'autre (mon proche, mon propre enfant, celui que j'ai « fait », engendré peut-être, façonné sûrement pour le meilleur ou pour le …) fait autre chose ou autrement, c'est que ce que je fais moi-même j'aurais pu ne pas le faire, ma façon de faire (de parler, d'aimer, de …) aurait pu être autre. Ce n'est pas une nature (comme on dit « c'est naturel », « c'est comme ça » au sens où cela ne pourrait être autrement), c'est une culture = un processus d'acquisition qui suppose une prise de position, une évaluation : c'est parce qu'on juge que c'est « bien », que cela vaut plus qu'autre chose, qu'on l'a voulu, choisi, parce qu'on l'a pensé (on se l'est représenté), non pas parce qu'il y aurait en nous une nature qui, quoi qu'on puisse vouloir, quoi qu'on puisse se dire ou penser, nous définirait substantiellement dans ce que nous sommes (être) et nous déterminerait dans ce que nous faisons, dans nos comportements (agir).
Provenç.
renegat, de renegar (voy. RENIER) ;
espagn. renegado, ital. rinnegado. Le français renégat vient du
provençal ; l'ancien français disait renié ou renoié. Pour
l'explication comment renié ou son équivalent renégat a pu
signifier qui a renié (voy. RENIÉ).