«L'homme
peut-il être défini?» Si la question
surprend, ce n’est pas parce qu’elle appellerait une réponse
encore indisponible. C’est plutôt parce que, naïveté ou
véritable provocation, elle semble délibérément ignorer la
définition de l’homme depuis longtemps proposée par la zoologie,
laquelle sait assigner à l’animal humain une place dans l’ensemble
des vivants en délimitant son essence par un jeu d’inclusions et
de distinctions spécifiques. Seuls représentants aujourd’hui du
genre « Homo », les « hommes » ne
composent-ils pas une « espèce » de « l’ordre »
des Primates (lémuriens, petits singes, Hominidés, …) appartenant
à la famille des Hominidés (chimpanzé, bonobo, gorille,
orang-outang, homme) ? On sait donc ce qu’est l’homme et on
sait le situer par rapport à ce qu’il n’est pas. D’ailleurs sa
bipédie, son système cognitif, son langage articulé sont ses
caractéristiques distinctives.
Cependant
il se pourrait que, elle qui prétend cerner l’essence de l’homme,
une telle définition passe sous silence …l’essentiel. Car cette
définition néglige de préciser d’une part que l’homme est
lui-même l’auteur de cette définition, énoncée par certains
hommes, comprise de tout homme, portant sur tous les hommes ;
d’autre part, que la faculté par laquelle l’homme élabore cette
définition, qu’on l’appelle « raison », « esprit »,
« conscience » ou « système cognitif », ne
peut en toute rigueur être insérée dans une liste plus ou moins
longue de propriétés définissant l’homme puisque c’est cette
faculté qui permet de les énumérer toutes; que c’est elle
également qui permet de concevoir tous les regroupements parmi les
vivants en ordres, espèces, familles et genres ; que c’est
elle enfin qui permet d’élaborer depuis le plus élémentaire des
dictionnaires jusqu’aux traités de zoologie les plus savants.
L’homme est un être qui cherche une définition pour toute chose,
pour tout être, jusqu’à la notion même de définition et jusqu’à
la notion de lui-même. On ne saurait donc pas plus définir l’homme
extérieurement par des propriétés objectives, oubliant de préciser
que c’est en tant que sujet se définissant qu’il s’attribue de
telles propriétés, qu’on ne saurait sérieusement définir l’oeil
par sa forme et sa couleur, négligeant de préciser que l’oeil
n’est pas seulement une partie visible du corps mais
essentiellement l’organe de la vision, cet organe qui fait donc
voir les formes et les couleurs !
Le
problème commence donc à prendre forme. L’homme est capable de
« définir », et ce pourrait être le début de sa propre
définition. Encore faudrait-il comprendre en quel sens ici le mot
définition devra être pris, encore faudrait-il …redéfinir ce
mot. Que signifiera le verbe « définir » si l’homme
n’est plus quelque chose de défini, substance définissable, mais
quelqu’un, un agent, une instance qui définit ? Certes,
« définir l’homme » revient à dire ce que l’homme
est, mais en quel sens : ce qu’il est par nécessité ou ce
qu’il est par devoir, ce qu'il ne peut pas ne pas être ou ce qu'il se
doit d'être ayant cependant la possibilité d'être autrement? Car,
contrairement à tout autre être vivant qui pour être ce qu’il
est n’aurait pas besoin de le savoir, si l’homme cherche, lui, à
se définir c’est pour répondre de ce qu’il est, prendre ses
responsabilités étant donné ce qu’il est, c’est-à-dire se
conduire comme un homme, autrement dit savoir comment un « être »
humain peut être « humain », comment il peut montrer de
l’humanité. Le problème se précise : une définition de
l’homme livrera-t-elle une idée de l’homme ou un idéal
d’humanité ?