C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

L'homme peut-il être défini?

             «L'homme peut-il être défini?» Si la question surprend, ce n’est pas parce qu’elle appellerait une réponse encore indisponible. C’est plutôt parce que, naïveté ou véritable provocation, elle semble délibérément ignorer la définition de l’homme depuis longtemps proposée par la zoologie, laquelle sait assigner à l’animal humain une place dans l’ensemble des vivants en délimitant son essence par un jeu d’inclusions et de distinctions spécifiques. Seuls représentants aujourd’hui du genre « Homo », les « hommes » ne composent-ils pas une « espèce » de « l’ordre » des Primates (lémuriens, petits singes, Hominidés, …) appartenant à la famille des Hominidés (chimpanzé, bonobo, gorille, orang-outang, homme) ? On sait donc ce qu’est l’homme et on sait le situer par rapport à ce qu’il n’est pas. D’ailleurs sa bipédie, son système cognitif, son langage articulé sont ses caractéristiques distinctives.

Cependant il se pourrait que, elle qui prétend cerner l’essence de l’homme, une telle définition passe sous silence …l’essentiel. Car cette définition néglige de préciser d’une part que l’homme est lui-même l’auteur de cette définition, énoncée par certains hommes, comprise de tout homme, portant sur tous les hommes ; d’autre part, que la faculté par laquelle l’homme élabore cette définition, qu’on l’appelle « raison », « esprit », « conscience » ou « système cognitif », ne peut en toute rigueur être insérée dans une liste plus ou moins longue de propriétés définissant l’homme puisque c’est cette faculté qui permet de les énumérer toutes; que c’est elle également qui permet de concevoir tous les regroupements parmi les vivants en ordres, espèces, familles et genres ; que c’est elle enfin qui permet d’élaborer depuis le plus élémentaire des dictionnaires jusqu’aux traités de zoologie les plus savants. L’homme est un être qui cherche une définition pour toute chose, pour tout être, jusqu’à la notion même de définition et jusqu’à la notion de lui-même. On ne saurait donc pas plus définir l’homme extérieurement par des propriétés objectives, oubliant de préciser que c’est en tant que sujet se définissant qu’il s’attribue de telles propriétés, qu’on ne saurait sérieusement définir l’oeil par sa forme et sa couleur, négligeant de préciser que l’oeil n’est pas seulement une partie visible du corps mais essentiellement l’organe de la vision, cet organe qui fait donc voir les formes et les couleurs !

Le problème commence donc à prendre forme. L’homme est capable de « définir », et ce pourrait être le début de sa propre définition. Encore faudrait-il comprendre en quel sens ici le mot définition devra être pris, encore faudrait-il …redéfinir ce mot. Que signifiera le verbe « définir » si l’homme n’est plus quelque chose de défini, substance définissable, mais quelqu’un, un agent, une instance qui définit ? Certes, « définir l’homme » revient à dire ce que l’homme est, mais en quel sens : ce qu’il est par nécessité ou ce qu’il est par devoir, ce qu'il ne peut pas ne pas être ou ce qu'il se doit d'être ayant cependant la possibilité d'être autrement? Car, contrairement à tout autre être vivant qui pour être ce qu’il est n’aurait pas besoin de le savoir, si l’homme cherche, lui, à se définir c’est pour répondre de ce qu’il est, prendre ses responsabilités étant donné ce qu’il est, c’est-à-dire se conduire comme un homme, autrement dit savoir comment un « être » humain peut être « humain », comment il peut montrer de l’humanité. Le problème se précise : une définition de l’homme livrera-t-elle une idée de l’homme ou un idéal d’humanité ? 

voir le dessin de Saul Steinberg, "Sans titre" (1948)
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