Arendt,
CHM / Le travail
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« Une société de travailleurs sans travail » Texte n°
26 > CHM
p37-38
S'il
n'y a pas de « travail » comment donc pourrait-il y avoir
des « travailleurs » ? Nos sociétés modernes font
de nous tous des « travailleurs » au sens où la plus
grande partie d'entre nous, que nous ayons ou non un travail qui nous
permette de « vivre » (nous alimenter, nous chauffer,
etc.), nous « glorifions » le travail : non
seulement nous en faisons une valeur, mais en plus c'est à cette
valeur que nous mesurons la valeur de toutes nos activités en
demandant par exemple si « en faisant ce que nous faisons, nous
travaillons, nous sommes actifs … ou si nous ne faisons rien ».
Soit on travaille, soit on ne fait rien. Autrement dit, soit on
travaille, soit on n'est pas « actif » : on est des
« fainéants » (faire le rien, le néant) et finalement
des « vauriens ».
Cette "glorification" du travail se traduit d'ailleurs dans la langue où tous les autres verbes se sont effacés devant le verbe "travailler", lequel a tiré vers lui, en devenant leur synonyme, toutes les qualités qui leur étaient cependant spécifiquement associées :
Exercer,
s'entraîner, fabriquer, per-fect-ionner (Rousseau,
« perfectibilité »), s'améliorer, apprendre,
in-culquer
> calx : talon > faire entrer à coup de talons
accomplir
un effort
se
donner de la peine
dépenser,
se dépenser (le coût subjectif du « travail »
dans l'expression « travail de deuil »)
se
concentrer
être
productif
aboutir
à un résultat
fabriquer
être
employé
étudier
se
former (à un métier)
Telles sont désormais les acceptions du verbe "travailler", devenu un mot englobant, total, à la portée englobante et totalitaire. Rq : Arendt est à la fois l'auteure des Origines du totalitarisme et de The human condition.