C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Parler : pour quoi faire?

    "Exemples :
(E.a) "Oui [je le veux] (c'est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime)" - ce "oui" étant prononcé au cours de la cérémonie du mariage.
(E.b) "Je baptise ce bateau le Queen Elisabeth" - comme on dit lorsqu'on brise une bouteille contre la coque.
(E.c) "Je donne et lègue ma montre à mon frère" - comme on peut le lire dans un testament.
(E.d) "Je vous parie six pence qu'il pleuvra demain."
   Pour ces exemples, il semble clair qu'énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées, évidemment), ce n'est ni décrire ce qu'il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c'est le faire. (...) Quand je dis à la mairie ou à l'autel, etc., "Oui [je le veux]", je ne fais pas le reportage d'un mariage : je me marie.
    Quel nom donner à une phrase ou à une énonciation de ce type ? Je propose de l'appeler une phrase performative (...). Ce nom dérive, bien sûr, du verbe [anglais] perform, verbe qu'on emploie d'ordinaire avec le substantif "action" : il indique que produire l'énonciation est exécuter une action. (...)
   Dans le cas particulier de la promesse, comme dans celui de beaucoup d'autres performatifs, il convient que la personne qui promet ait une certaine intention (ici, par exemple, celle de tenir sa parole). Il semble même que de tous les éléments concomitants, celui-là soit le plus apte à être ce que décrit ou enregistre effectivement le « Je promets ». De fait, ne parlons-nous pas d'une « fausse » promesse lorsqu'une telle intention est absente ?
   Parler ainsi ne signifie pourtant pas que l'énonciation « Je promets que... » soit fausse, dans le sens où la personne, affirmant faire, ne ferait pas, ou décrivant, décrirait mal, rapporterait mal. Car elle promet, effectivement : la promesse, ici, n'est même pas nulle et non avenue, bien que donnée de mauvaise foi. Son énonciation est peut-être trompeuse ; elle induira probablement en erreur, et elle est sans nul doute incorrecte. Mais elle n'est pas un mensonge ou une affirmation manquée. Tout au plus pourrait-on trouver une raison de dire qu'elle implique ou introduit un mensonge ou une affirmation manquée (dans la mesure où le déclarant a l'intention de faire quelque chose) ; mais c'est là une tout autre question. De plus, nous ne parlons pas d'un faux pari ou d'un faux baptême ; et que nous parlions, de fait, d'une fausse promesse, ne nous compromet pas plus que de parler d'un faux mouvement."
John Langshaw Austin, How to do things with words (1962), 
trad. Quand dire, c'est faire (1970)