C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Arendt / Pardon et promesse : changement et identité

    « Si nous n’étions pardonnés, délivrés des conséquences de ce que nous avons fait, notre capacité d’agir serait comme enfermée dans un acte unique dont nous ne pourrions jamais nous relever ; nous resterions à jamais victimes de ses conséquences, pareils à l’apprenti sorcier qui, faute de formule magique, ne pouvait briser le charme. Si nous n’étions liés par des promesses, nous serions incapables de conserver nos identités ; nous serions condamnés à errer sans force et sans but, chacun dans les ténèbres de son cœur solitaire, pris dans les équivoques et les contradictions de ce cœur – dans des ténèbres que rien ne peut dissiper, sinon la lumière que répand sur le domaine public la présence des autres, qui confirment l’identité de l’homme qui promet et de l’homme qui accomplit. Les deux facultés dépendent d’autrui, car nul ne peut se pardonner à soi-même, nul ne se sent lié par une promesse qu’il n’a faite qu’à soi ; pardon et promesse dans la solitude ou l’isolement demeurent irréels et ne peuvent avoir d’autre sens que celui d’un rôle que l’on joue pour soi ». 

Hannah Arendt, 
La condition de l'homme moderne (tr. Georges Fradier, pp. 302-303), 1961