C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Arendt / L'usure n'est ni la destruction ni la péremption

« Bien que l’usage ne soit pas la consommation, pas plus que l’œuvre n’est le travail, ils paraissent se recouvrir en certains domaines importants, au point que l’accord avec lequel les savants comme le public ont confondu ces deux choses différentes semble bien justifié. L’usage, en effet, contient certainement un élément de consommation, dans la mesure où le processus d’usure a lieu par contact entre l’objet et l’organisme vivant qui consomme : plus le contact entre le corps et l’objet utilisé est étroit, plus l’assimilation paraît plausible. Si comme objets d’usage on imagine, par exemple, les vêtements, on sera tenté de conclure que l’usage n’est qu’une consommation lente. A cela s’oppose ce que nous avons dit plus haut : la destruction, encore qu’inévitable, est incidente à l’usage, mais inhérente à la consommation. Ce qui distingue la plus mince paire de souliers de n’importe quel bien de consommation, c’est qu’ils restent intacts si je ne les porte pas, qu’ils ont une certaine indépendance, si modeste soit-elle, qui leur permet de survivre même un temps considérable à l’humeur changeante de leur propriétaire. Utilisés ou non, ils demeureront un certain temps dans le monde à moins qu’on ne les détruise délibérément ».
Hannah Arendt, 
La condition de l'homme moderne (p. 189, tr. G. Fradier), 1961