« Bien
que l’usage ne soit pas la consommation, pas plus que l’œuvre
n’est le travail, ils paraissent se recouvrir en certains domaines
importants, au point que l’accord avec lequel les savants comme le
public ont confondu ces deux choses différentes semble bien
justifié. L’usage, en effet, contient certainement un élément de
consommation, dans la mesure où le processus d’usure a lieu par
contact entre l’objet et l’organisme vivant qui consomme :
plus le contact entre le corps et l’objet utilisé est étroit,
plus l’assimilation paraît plausible. Si comme objets d’usage on
imagine, par exemple, les vêtements, on sera tenté de conclure que
l’usage n’est qu’une consommation lente. A cela s’oppose ce
que nous avons dit plus haut : la destruction, encore
qu’inévitable, est incidente à l’usage, mais inhérente à la
consommation. Ce qui distingue la plus mince paire de souliers de
n’importe quel bien de consommation, c’est qu’ils restent
intacts si je ne les porte pas, qu’ils ont une certaine
indépendance, si modeste soit-elle, qui leur permet de survivre même
un temps considérable à l’humeur changeante de leur propriétaire.
Utilisés ou non, ils demeureront un certain temps dans le monde à
moins qu’on ne les détruise délibérément ».
Hannah
Arendt,
La condition de l'homme moderne (p.
189, tr. G. Fradier), 1961