On
dit que la loi retient, contient, empêche de réaliser son
propre désir. Il faudrait « s'y plier » : en un mot
qu'à cause d'elle on « ne peut pas faire ce qu'on veut ».
Telles seraient les rigueurs de la loi.
Et
pourtant, la loi n'est ni un mur, ni une arme, ni une chose ni
même une personne, le gendarme ou toute « grande personne »
comme le voudrait une représentation infantilisante de la loi. Elle
est une demande qui même si elle prend la forme d'une pressante
recommandation ou d'un commandement, reste un appel à une
obéissance, c'est-à-dire à une écoute (audire). Elle n'est
pas un obstacle qui s'interpose, elle parle en s'adressant à
quelqu'un, à un sujet : elle ne parle pas de lui, elle lui
parle en le resituant, en lui demandant de s'y reconnaître, de « s'y
retrouver ». Car elle est littéralement une inter-diction (non
pas une refus, une négation ou une contra-diction), un « dire » qui
délimite une communauté au sein de laquelle chacun est défini
comme étant « un parmi d'autres », un sujet qui doit
répondre, écouter une demande adressée à tous ceux avec qui il
forme une communauté.
Or
c'est le propre d'une demande de laisser le choix entre deux
possibilités au moins, le refus et l'acceptation. La loi suppose
donc la liberté puisqu'elle s'adresse à elle. Loin de l'exclure,
elle repose sur elle. La question devient donc : puisque
c'est la liberté qui permet à la loi d'exister, qui permet à la
loi d'avoir un sens, réciproquement que peut la loi pour la
liberté ?
1
Le droit, la capacité, la possibilité
A
cause de la loi je ne « peux » pas, dit-on, faire ce que
je veux : en quel sens du verbe « pouvoir » ?
a)
Une interdiction ne me prive pas mon aptitude, ma capacité (l'ang.
« can »).
Je continue d'être habile, la loi « n'inhibe »
pas.
D'ailleurs,
c'est parce que la morale recommande d'être véridique dans ses
déclarations qu'un monde reposant sur ce principe moral donne au
mensonge son efficacité (et au menteur une capacité à produire des
effets). Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs.
b)
une interdiction ne me prive pas d'un droit (l'ang. « may »)
mais elle pose mon droit en même temps que le droit de tous les
autres sujets, elle attribue les mêmes droits à tous les sujets qui
ont en commun un même statut, la même citoyenneté, et institue
indirectement pour chacun le devoir de respecter chez autrui les
droits dont il se prévaut lui-même et dont il attend mutuellement
un égal respect par autrui. Comme un droit est institué, il
n'existe donc pas sans être reconnu, il suppose chez autrui
l'obligation de le respecter. Nul ne peut s'attribuer des droits :
chacun n'a des droits que dans la mesure où d'autres ont le devoir
de les reconnaître, et réciproquement.
Exemple
de dérivation d'une obligation à partir d'un droit :
l'obligation scolaire ne s'adresse pas à l'écolier mais au tuteur
légal qui doit respecter le droit de l'enfant à recevoir une
éducation (au lieu d'aller travailler).
Théorie
du contrat selon le droit civil français : « Lorsqu'est
conclu un contrat
synallagmatique, chacune des parties va être débitrice d'un
certain nombre d'obligations. Ainsi, chaque partie aura à la fois la
qualité de débiteur et celle de créancier, sur des obligations
différentes. Par exemple, dans un contrat de vente, l'acheteur sera
débiteur de l'obligation de payer le prix et créancier de
l'obligation de délivrance de la chose quand le vendeur sera
créancier de l'obligation de payer le prix mais débiteur de
l'obligation de délivrance de la chose vendue. »
c)
La loi prescrit indirectement des obligations tout en instituant des
droits. Or un droit en appelle à la libre décision de l'exercer.
Et, d'autre part, les obligations ne privent pas le destinataire de
la possibilité de ne pas respecter celle-ci. Ob-ligation n'est pas
con-trainte (ob-ligare n'est pas con-stringere). La loi ne prive pas
de la possibilité.
2
la loi, la règle : ordre, régularité, homogénéité
a)
Les sciences expérimentales décrire un ordre tel qu'il existe déjà.
La loi de gravitation universelle ne donne pas l'ordre à tous les
corps physique de s'attirer les uns les autres. Comte, Cours de philosophie positive
(C'est d'ailleurs par un acte de liberté que l'homme institue des
lois et que par ailleurs il poursuit sa quête de connaissances).
b)
Les lois civiles, morales ou religieuses prescrivent un ordre, elles
le donnent, elles s'adressent. La loi religieuse tutoie son
allocutaire. Même lorsqu'elle est formulée à l'indicatif présent
(comme pour un énoncé qu'on pourrait trouver dans les sciences
expérimentales) la loi énonce non pas ce qui est mais ce qui doit
être (les « mœurs »).
c)
régularité, identité
l'obligation,
le devoir-être, comme lien entre soi et soi-même (l'engagement, la
promesse) , comme support d'identité. cf. Arendt, La vie de l'esprit
3
Loi, limite et subjectivité : la loi me rappelle un statut ou
un projet, qui je veux être
a)
La loi me rappelle ma liberté, me la fait reconnaître cf. Kant,Critique de la raison pratique
b)
« la » loi ? > les lois, une pluralité de
domaines de valeurs : les domaines de lois peuvent entrer en
conflit. Les possibilités plurielles renvoient à des différences
qualitatives, axiologiques (entre des valeurs distinctes).
c)
le rapport à la loi rappelle le sujet à son projet, à son modèle,
à son idéal d'être cf. Sartre, L'existentialisme est un humanisme
Conclusion :
sujet, projet, objet
Certes,
la liberté ouvre le sujet sur la dimension du possible. Sa conduite
est indéterminée, il pourra être celui-ci ou bien celui-là. Mais
encore faut-il qu'il décide d'être l'un ou bien l'autre. La loi
donne un objet à sa volonté et lui permet de se déterminer
lui-même, d'être quelqu'un, celui-ci, celui-là. Possible >
réel.