Introduction de
l'explication de texte
Les œuvres d'art
sont-elles des « choses » parmi tant d'autres (lignes
1-11-13), parmi toutes celles qui composent « le monde fabriqué
par l'homme » (l.1)?
Telle pourrait être la
question implicite qui conduit Hannah Arendt, dans cet extrait de
La crise de la culture, à classer méthodiquement les
« choses » ou réalités spécifiquement culturelles -
autrement dit qu' « on ne rencontre pas dans la nature »,
ni dans le réel en général ni chez le vivant en particulier -
selon quatre catégories distinctes : les « œuvres d'art »
(l.2-4-11) , les « objets d'usage » (l.2), les « produits
de l'action » (l.6) et les produits de consommation (l.5-19).
C'est en effet le rôle
de la première des deux étapes du texte (jusqu'à la l.10)
que d'établir une telle classification tout en posant une hiérarchie
qui prend pour critère la « durée» (l.3-5). De ce « point
de vue » (l.10), dès lors que les « produits de
l'action » sont transcrits à même le support de l'ouvrage (la
stèle ou le livre, par exemple) ou à même le support matériel
d'une oeuvre d'art (photographie ou film par exemple), les trois
premières catégories se trouvent du même côté, celui de la
« permanence » (l.3), par transmission culturelle, par
tradition historique. Seuls les produits de consommation, périssables
par essence, sont voués au cycle de la matière organique, cycle de
la production et de l'assimilation, à moins qu'ils ne se détruisent
eux-mêmes par corruption, par simple péremption.
C'est dans la seconde
partie que les œuvres d'art sont mises à part des objets
d'usage et des produits de l'action, élevées au-dessus de ceux-ci
selon une différence quantitative qui devient qualitative. Car elles
sont « clairement supérieures » (l.11), « durent
le plus longtemps au monde » (l.12), sont « les plus
mondaines des choses ». En effet, dans ce texte qui croise
prioritairement les thèmes de la culture (art et usage
technique), de la politique (action) et du vivant (consommation),
telle est la thèse par laquelle Arendt répond à la question
initiale : les œuvres d'art sont « fabriquées pour
le monde » (l.15), non pas pour servir « dans » le
monde, mais bel et bien pour faire « un » monde, faire en
sorte qu'il y ait quelque chose digne d'être appelé « un
monde », c'est-à-dire un lieu durable, per-enne, qui re-ste le
même, suffisamment per-manent pour accueillir, telle une demeure,
tous les hommes à travers leur histoire commune. Un « monde »
donc, non pas une « nature », ou une « physis »,
où rien ne persiste ni ne subsiste, où rien ne peut être institué,
où tout se transforme cycliquement, indéfiniment, ne laissant
invariant que le « processus » en lui-même (l.15),
jamais aucune de ses phases, variables et indénombrables.