C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Sartre / 9 janvier / en quel sens la subjectivité est-elle indépassable?

« subjectivisme » :
1 « ne pas pouvoir dépasser la subjectivité»
2 « choix individuel »

La difficulté pour comprendre cette différence vient du fait que le lecteur risque de voir la limitation là où elle n'est ...pas !
Ne pas pouvoir, « l'impossibilité de dépasser la subjectivité » devrait se reformuler, positivement, en ne pas pouvoir « se passer de ». En effet, tout repose sur la subjectivité – ce qui ne veut PAS dire que chaque sujet soit enfermé en lui-même, dans son intériorité, dans son ego.
> tout « repose sur » (comme invite déjà à le penser le préfixe sub dans le mot latin subjectum, ou le mot anglais subject) signifie que le su(b)jet est le fond à partir de quoi tout le reste est possible. Tout repose sur le sujet (qui est donc « dessous ») au sens où tout « part » de lui (d'où l'expression « à partir de).
Rq : dire que les fondations d'une maison sont ce sur quoi la maison « repose » ne revient pas à dire que toute la maison serait enfermée à l'intérieur de ces mêmes fondations, dans la cave par exemple ! Au contraire, ce qui fonde permet l'élévation (de l'édifice), l'élan, la relation, etc.

A l'inverse de ce que le lecteur (l'auditeur de la conférence en octobre 1945!) serait tenté de comprendre, la limitation ne se trouve donc pas dans la formule « impossibilité de dépasser la subjectivité » mais dans l'autre : « choix du sujet individuel » !
Car cette formule a tendance à nous faire croire que la subjectivité, c'est « seulement » le ...« subjectif », ce qui ne peut être mis en commun, ce qui ne peut être compris par un autre sujet, ce qui empêche la relation, la communauté, le collectif.
Rq : dans la langue usuelle, il n'est pas rare de rencontrer cette acception péjorative du mot « subjectif », confondu avec « personnel », « privé » (opposé à public), « individuel » ou « particulier » : serait « subjectif » ce dont on ne peut discuter (comme les goûts etc.).
L'enjeu de cette ...insistance sur la question de la subjectivité qui est le « premier principe  de l'existentialisme » (p3, l. 33) est de poser la responsabilité du sujet précisément. Nul ne pourra dire (en se dérobant, en se défaussant) : c'est pas moi, c'est l'autre qui l'a dit, c'est l'autre qui l'a voulu, qui m'a dit de le faire . « l'autre » ? autrui, la loi, le système, le monde. cf. l'expérience de Milgram (et tous ses dérivés … le film d'Henri Verneuil, I comme Icare ou le documentaire Zone extrême) qui met en évidence la « soumission à l'autorité ». Mais aucune « soumission » n'enlève à un sujet sa responsabilité car c'est toujours le sujet qui pose une autorité comme telle.