C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Travail et consommation : deux étapes d’un seul et même cycle [n°21]

«Quand Marx définissait le travail comme «le métabolisme de l’homme avec la nature»*, processus dans lequel « le matériau de la nature est adapté par un changement de forme aux besoins de l’homme », de sorte que « le travail s’est incorporé à son sujet », il indiquait clairement qu’il « parlait physiologiquement » et que « travail » et consommation ne sont que deux stades du cycle perpétuel de la vie biologique. Ce cycle a besoin d’être entretenu par consommation, et l’activité qui fournit les moyens de consommation, c’est l’activité de travail. Tout ce que produit le travail est fait pour être absorbé presque immédiatement dans le processus vital, et cette consommation, régénérant le processus vital, produit – ou plutôt reproduit – une nouvelle « force de travail » nécessaire à l’entretien du corps. Du point de vue des exigences du processus vital, de la « nécessité de subsister », comme disait Locke, le travail et la consommation se suivent de si près qu’ils constituent presque un seul et même mouvement qui, à peine terminé, doit se recommencer. La « nécessité de subsister » régit à la fois le travail et la consommation, et le travail, lorsqu’il incorpore, « rassemble » et « assimile » physiquement les choses que procure la nature, fait activement ce que le corps fait de façon plus intime encore lorsqu’il consomme sa nourriture. Ce sont deux processus dévorants qui saisissent et détruisent de la matière, et « l’ouvrage » qu’accomplit le travail sur son matériau n’est que la préparation de son éventuelle destruction ».
Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne (pp 145-146), 1961
* Lire la note 3 de Arendt de la p.145