« L’institution de l’esclavage dans l’antiquité, au
début du moins, ne fut ni un moyen de se procurer de la main-d’œuvre
à bon marché ni un instrument d’exploitation en vue de faire des
bénéfices ; ce fut plutôt une tentative pour éliminer des
conditions de la vie le travail. Ce que les hommes partagent avec les
autres animaux, on ne le considérait pas comme humain. (C’était
d’ailleurs aussi la raison de la théorie grecque, si mal comprise,
de la nature non humaine de l’esclave. Aristote, qui exposa si
explicitement cette théorie et qui, sur son lit de mort, libéra ses
esclaves, était sans doute moins inconséquent que les modernes
n’ont tendance à le croire. Il ne niait pas que l’esclave fût
capable d’être humain; il refusait de donner le nom
d’ « hommes » aux membres de l’espèce humaine
tant qu’ils étaient totalement soumis à la nécessité.) Et il
est vrai que l’emploi du mot «animal» dans le concept d’animal
laborans, par opposition à l’emploi très discutable du même
mot dans l’expression animal rationale, est
pleinement justifié. L’animal laborans n’est, en effet,
qu’une espèce, la plus haute si l’on veut, parmi les espèces
animales qui peuplent la terre ».
Hannah
Arendt, La
condition de l’homme moderne
(pp 128-129), 1961.