Les
messages publicitaires y insistent souvent : l'avion, la
voiture, le train à grande vitesse nous donneraient la liberté d'un
déplacement rapide, nous affranchiraient même de la contrainte de
l'espace et du temps : ce serait « la liberté »
offerte par la télé-communication. Car, pour téléphoner, nul
n'est plus attaché à un endroit particulier et nul n'a plus même
besoin de se déplacer ...ni à grande ni à petite vitesse ! En
ce sens, la technique nous rendrait libres.
Et
pourtant si les messages publicitaires nous sollicitent et se
font pressants, parfois oppressants, c'est en présupposant que nous
pourrions ne pas faire l'acquisition de tel ou tel objet, parce que
nous pourrions ne pas
acheter cet objet, ne pas
souscrire ce forfait, cette adhésion. La publicité nous
propose, elle s'adresse à notre libre-arbitre qui nous permettra de
choisir. Ce n'est donc pas tel ou tel objet technique qui nous rend
libres puisque, déjà, nous sommes libres de l'acquérir ou de ne
pas l'acquérir.
Et
en effet la technique ne délivre qu'une capacité, une aptitude à
produire tel ou tel effet. Encore faut-il que je veuille, que je
décide, que je choisisse de vouloir produire cet effet, que je
veuille atteindre ce but. Telle sera donc notre question :
comment expliquer la confusion fréquente entre « capacité »
et « liberté », entre les deux premiers sens du verbe
« pouvoir » ? Comment, si ce n'est en comprenant que
cette confusion nous permet d'oublier nos responsabilités,
c'est-à-dire nos devoirs en rapport avec le troisième sens du verbe
« pouvoir » (avoir droit ou ne pas avoir droit).
1.
La technique suppose la liberté = c'est parce que l'homme est libre
qu'il peut recourir à la technique. Notre liberté fait que nous
décidons de l'objet que nous prenons, que nous décidons d'apprendre
la technique pour le manier.
a)
" Derrière" l'objet ...l'habileté. Les message
publicitaires sont simplificateurs, simplistes, souvent mensongers =
comme s'il suffisait de faire l'acquisition d'un objet pour faire
l'acquisition d'un savoir-faire. L'outil ne suffit pas à transmettre
une capacité, il appelle l'acquisition d'une habileté : il faut
apprendre à se servir de l'outil (qui sinon ne sert à rien).
L'apprentissage
chez l'homme > le choix de ce qu'il veut apprendre, choix entre
plusieurs techniques. Il n'y a pas "la" technique mais
"des" techniques possibles. Le conformisme ambiant voudrait
faire croire qu'il n'y a qu'un chemin "possible" (donc en
réalité strictement nécessaire, non pas "possible").
b)
Avant même le choix de l'objet, de l'outil, choisir la position de
la main!
c)
Avant même la position de la main, choisir avec quelle partie
du corps on va prendre. Le corps humain est en effet si peu déterminé
dans sa configuration que la main, la prise peut surgir de n'importe
quel endroit du corps : pied, bouche, menton-épaule. Mais il faut
souvent, il est vrai, une situation d'invalidité provisoire
(accident) ou durable ("mal"-formation) pour se rendre
compte que nous sommes libres de la façon de prendre, de ce que nous
voulons prendre, de ce que nous voulons apprendre. Qui aurait l'idée
d'apprendre à peindre avec sa main gauche si, étant droitier, sa
main droite est valide, d'apprendre à tenir un pinceau avec ses
orteils s'il a l'usage de ses doigts?
2.
Faire être / faire connaître. La technique ne nous fait pas être
libres (elle ne fait pas exister la liberté), au mieux elle nous
fait connaître que nous sommes libres, que nous le sommes déjà. La
technique est une capacité qui nous rend conscients de notre
liberté, de nos possibilités et, donc, de nos responsabilités.
Puisque chaque technique actualise une possibilité, réalise ce qui
n'était qu'une possibilité, puisque nous aurions pu choisir
d'actualiser une autre possibilité, nous sommes donc responsables de
la possibilité retenue par notre choix.
a)
C'est parce qu'on est libre qu'on a besoin de techniques. Mais c'est
le don de Prométhée qui rend conscient du don d'Epiméthée. Sans
les arts volés à Athéna et Héphaïstos (qui permettent d'outiller
et d'équiper le corps de l'homme), la nudité du corps humain ne
serait qu'une privation : la nudité ne pourrait pas être vue comme
une absence de détermination (une indétermination) rendant toutes
les acquisitions possibles.
cf. Platon, Protagoras
cf. Platon, Protagoras
b)
Mais l'usage des techniques me rappelle que je suis libre (déjà)
et, en même temps, mes responsabilités (je dois répondre du choix
de telle technique, de l'usage de tel ou tel outil ou machine) :
c'est moi qui décide d'acquérir un outil et l'habileté qui va
avec, moi qui décide de comment m'en servir (comme d'un ustensile ou
comme d'une arme?), du moment où je veux m'en servir. L'addiction
est un rapport à l'objet dans lequel j'oublie que c'est moi qui suis
libre d'utiliser ou non l'objet : j'ai constamment l'objet avec moi
et s'il n'est pas toujours dans ma main, il est toujours à portée
de main et toujours rechargé, en état de fonctionnement. Je ne
l'éteins jamais : comme si j'oubliais que, avant tout, j'ai le choix
d'éteindre et de laisser allumé. Le "on" / le "off"
;
c)
C'est moi qui dois répondre des conséquences de mes capacités et
de mes incapacités. Les outils humains peuvent devenir des armes,
qui peuvent même se retourner contre leurs utilisateurs. cf. Une voiture peut devenir une arme mortifère même entre les mains d'un homme heureux et inoffensif.
Cf. Stig Dagerman, Dieu rend visite à Newton.
Cf. Stig Dagerman, Dieu rend visite à Newton.
3.
Capacité n'est pas légitimité. "Nous rendre libres" :
"nous" / "je". C'est parce que je suis libre de
choisir la technique à utiliser que je suis responsable du fait que
d'autres ne peuvent pas se servir des techniques dont je me sers.
C'est pourtant souvent ces autres hommes qui, en les fabriquant
là-bas, font que des outils sont utilisés ici.
a)
Rapport aveugle à la technique comme si j'avais le droit du seul
fait que j'en ai la capacité. Can / may. Si c'était la technique
qui nous rendaient libres, il ne serait plus même possible de juger
une conduite, un usage, une utilisation. Au contraire, c'est parce
que j'aurais pu ne pas utiliser cet outil qu'on pourra me demander de
justifier pourquoi j'ai décidé néanmoins de l'utiliser, de
l'utiliser ainsi, de l'utiliser à ce moment-ci (alors que je n'en
avais pas le droit, la légitimité > "may" en anglais)
b)
Je sais "conduire" (j'ai la capacité) mais peut-être
n'est-il pas légitime d'utiliser un moyen si polluant : le permis de
conduire (sur la voix publique) n'est pas un permis de polluer (la
planète)! Le progrès "technique" n'est possible que sur
fond d'un abus de ressources énergétique. La pollution de
l'environnement résultant de la dépense énergétique liée à
l'usage de technologies. Une nouvelle ère géologique :
l'anthropocène.
c)
L'accès économique aux technologies a pour condition des inégalités
sociales criantes. Certains sont puissants grâce à l'indigence des
autres, voire de très nombreux autres.
Conclusion
Non
seulement les techniques ne nous rendent pas libres, mais l'usage des
moyens techniques nous rappelle à notre libre-arbitre et nous invite
à réfléchir à quel usage nous devons faire de nos techniques et
de notre créativité technologique. Dépense des ressources /
générations futures, etc.