C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

"Culture" / étymologie


Le mot "culture" est formé sur le participe passé, cultum, du verbe latin colo. Or sur ce radical ont été formés de nombreux mots en français :
  • "-cole", qui s'est spécialisé dans le sens de l'habitation et qu'on retrouve à la fin des mots qui indiquent, dans leur première partie, le lieu à habiter : "agricole" désigne une population qui habite sur un espace agraire, à proximité des champs; "arboricole" désigne une espèce qui "habite" dans le branchage des arbres (à supposer qu'on puisse parler d'habitation pour une espèce animale); etc.
  • colonie, colonisation : l'occupation et l'exploitation des ressources propres à l'espace occupé, personnes et infrastructures humaines, animaux, ressources énergétiques du  sol, etc.
  • culture, culturisme : transformation et façonnage (donner forme par trans-formation, en passant d'une forme à une autre) comme dans le mot "agriculture" ou les pratiques culturistes qui permettent de modeler le corps.
  • culte : une disposition qui conduit à honorer certaines valeurs incarnées par un être (une divinité), une institution (l'art et ses palais muséaux, par exemple) ou une oeuvre (scènes dites "cultes" dans un film)
Deux idées générales se détachent, qu'on pourrait résumer par deux mots : modelage et modèle. 

Or, si le modelage est une activité de transformation, le modèle n'est pas en lui-même une "activité spécifique" ou une "chose" ou même "quelque chose". Un modèle est une représentation, "image" (imago), "idée" ou mieux "idéal", qui livre la raison de nos actions, nos pratiques, voire nos rituels, par lesquels nous faisons "quelque chose" et fabriquons des "choses".

La "raison", c'est-à-dire ici l'importance, la portée, le sens, la valeur : le pourquoi au sens de "au nom de quoi" (acception axiologique).

L'étymologie du mot introduit donc directement à la question propre à "la" culture, au fait culturel : la culture n'est-elle qu'un ensemble de pratiques (humaines, culturelles par définition) de transformation de "la nature" mises au service d'une fin naturelle (que l'animal atteint par "l'instinct" sans le détour, long détour, de la culture) : la survie? Ou la culture n'est-elle pas aussi et surtout la recherche de fins culturelles, d'autres fins dernières (= valeurs) que la vie ou survie elles-mêmes? Reste la question de savoir si, en définitive, une fin dite culturelle peut se dégager de toute logique vitale, de la fin biologique : si on voue un  culte à la beauté, si on se dévoue tout entier à la justice, est-ce un moyen de vivre (un moyen de vouloir vivre) ou est-ce au contraire une façon de mettre la vie au service d'une valeur qui la dépasse (puisque une raison de vivre peut en certaines circonstances devenir une raison de sacrifier sa vie à une cause, c'est-à-dire au respect d'une certaine valeur).
Si, par la culture, les humains transforment le donné naturel, est-ce pour adapter celui-ci de telle façon à en vivre ? Ou n'est-ce pas pour le modeler à la lumière du modèle qu'ils se sont donnés eux-mêmes, modèle de beauté, de volupté, de bonté, de justice, de vérité ou de sacré?