C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Un conte vietnamien / Comment le tigre eut ses rayures

« Dans les temps très anciens, les hommes menaient les buffles aux champs en les tirant par une corde attachée à leurs cornes. Ce n'était pas toujours facile, et les buffles allaient souvent où ils voulaient.
Un jour, quelqu'un eut l'idée de passer un anneau dans leurs naseaux et d'y nouer la corde. Depuis, les buffles suivaient docilement. Et ainsi, même les enfants pouvaient les garder.
Un jour, après les travaux de labour, un jeune gardien laissa son buffle paître tranquillement à la lisière de la forêt. Survint le tigre, qui en ce temps-là n'avait pas de rayures sur sa robe jaune.
Le féroce animal s'étonna de l'obéissance du puissant buffle que lui-même craignait. Il lui demanda :
-Buffle, pourquoi obéis-tu à ce frêle humain, toi dont la force égale la mienne ?
Le buffle lui répondit :
-Physiquement, le petit homme est faible, mais son intelligence est plus puissante que nos cornes et nos griffes !
Etonné, le tigre s'adressa alors au garçon :
-Dis-moi, petit homme, où est ton intelligence qui fait peur même au puissant buffle ?
Le petit gardien lui répondit :
-Je n'ai pas apporté mon intelligence avec moi. Je l'ai laissé à la maison.
-Alors, va la chercher, lui suggéra la tigre.
-Mais tu vas profiter de mon absence pour dévorer mon buffle ! Si tu acceptes que je t'attache, j'irai chercher mon intelligence pour te la montrer.
Le tigre hésita mais, poussé par la curiosité, accepta la proposition. Le garçon demanda au tigre de s'aplatir contre un solide tronc d'arbre, prit une longue corde et l'attacha solidement en faisant plusieurs tours.
Une fois qu'il eut fini, il prit un gros gourdin et se mit à battre le tigre, en s'exclamant :
-Voici mon intelligence !
Sous les coups, le tigre se débattit de douleur et de rage. Il se débattit si violemment que sa peau fut brûlée, à force de frotter contre les cordes. Voici pourquoi les tigres ont des rayures noires sur leur robe jaune.
Le tigre parvint finalement à se dégager et s'enfuit dans la forêt sans demander son reste. Le buffle, qui assistait à la scène, fut pris d'un fou rire. Il riait en secouant si fortement sa lourde tête qu'il cogna sa mâchoire par terre à s'en casser les dents. C'est ainsi que les buffles n'ont plus de dents à la mâchoire supérieure ».