Remarques
préalables pour comprendre le texte dans son ensemble
et
commencer à réunir des éléments en vue de l'introduction au
commentaire]
La
question : la « place » de l'être humain, comme partie
d'un tout > « placés » (l.3), « trouver place »
(l. 16), « se haussent » (l.21).
L'humain est un être parmi tant d'autres, seulement une partie, une parcelle
ou même une infime particule entourée « de toutes parts »
(l.2) d'une multitude d'autres êtres, tous réunis au sein d'une
seule et même totalité. Ce tout c'est la « nature »
(l.2), le « cosmos » (l.3, l.16),
l' « univers » (l.11) selon les mots du texte.
La
question est donc : où l'être humain a-t-il donc été mis au
sein de cette nature ? Quelle est sa place ? Pourquoi
faudrait-il lui reconnaître une place particulière, à lui seul ?
Pourquoi serait-il à part ?
La
thèse: « placé au
cœur » du cosmos, l'homme est cependant déplacé au sens où
il n'a pas de place assignée. En effet cette place n'est pas imposée
puisqu'il peut en changer, puisque il le « doit » même :
il doit s'élever, «se hausser ». A la différence de tous les
êtres qui l'environnent, qui ont une place déterminée en fonction
de ce qu'ils sont (immortels), les êtres humains doivent « trouver »
place. Parce que les humains sont individuellement mortels, chaque être humain se doit de devenir mortel s'il veut « trouver place »
(« en un cosmos où tout est immortel sauf eux », l.17)
L'argumentation
et ses étapes : deux
paragraphes = deux parties logiquement reliées puisque l'être humain ne
peut vouloir
devenir immortel (2ème paragraphe) que s'il
ne l'est pas déjà (1er
paragraphe).
Place
dans l'univers / mortalité-immortalité : le critère pour
situer spatialement l'humain dans la réalité (cosmos, univers) concerne donc avant tout
le rapport de l'homme au temps.
[au brouillon]
La question : la « place » de l'être humain, comme partie d'un tout > « placés » (l.3), « trouver place » (l. 16), « se haussent » (l.21). L'humain est un être parmi tant d'autres, seulement une partie, une parcelle ou même une infime particule entourée « de toutes parts » (l.2) d'une multitude d'autres êtres, tous réunis au sein d'une seule et même totalité. Ce tout c'est la « nature » (l.2), le « cosmos » (l.3, l.16), l' « univers » (l.11) selon les mots du texte. La question est donc : où l'être humain a-t-il donc été mis au sein de cette nature ? Quelle est sa place ? Pourquoi faudrait-il lui reconnaître une place particulière, à lui seul ? Pourquoi serait-il à part ?
La thèse: « placé au cœur » du cosmos, l'homme est cependant déplacé au sens où il n'a pas de place assignée. En effet cette place n'est pas imposée puisqu'il peut en changer, puisque il le « doit » même : il doit s'élever, «se hausser ». A la différence de tous les êtres qui l'environnent, qui ont une place déterminée en fonction de ce qu'ils sont (immortels), les êtres humains doivent « trouver » place. Parce que les humains sont individuellement mortels, chaque être humain se doit de devenir mortel s'il veut « trouver place » (« en un cosmos où tout est immortel sauf eux », l.17)
L'argumentation et ses étapes : deux paragraphes = deux parties logiquement reliées puisque l'être humain ne peut vouloir devenir immortel (2ème paragraphe) que s'il ne l'est pas déjà (1er paragraphe).
Place dans l'univers / mortalité-immortalité : le critère pour situer spatialement l'humain dans la réalité (cosmos, univers) concerne donc avant tout le rapport de l'homme au temps.
Thèmes du programme : principalement, la conscience et le temps.
Mais aussi : la raison, la nature, l'existence humaine et la culture, l’histoire, le devoir.
La conscience : si un.e humain.e n'est pas seulement une phase dans le processus biologique de perpétuation de l'espèce, si c'est une personne, un individu, un être à part entière, c'est parce que la conscience lui permet d'être un "sujet", lui confère une subjectivité.
Le temps : chaque existence individuelle, soustraite à la reproduction cyclique du même, est bornée par deux extrémités temporelles, la naissance et la mort.
La raison : l'humain pense la place de toutes choses, toutes réalités, au sein de l'univers et cherche la sienne.
L'existence humaine et la culture : c'est un modèle culturel donné qui assigne à la mortalité un sens qui structure l'existence individuelle de chacun.e.
L'histoire : c'est le récit historique qui confère aux actions humaines son caractère « mémorable ».
Le devoir : l’humain doit devenir ce que tout être est par nature : immortel.
[Introduction
rédigée]
Faut-il reconnaître à l'être humain une place particulière dans « l'univers » (l.11) ? Telle pourrait être la question à laquelle répond Hannah Arendt dans cet extrait de La condition de l'homme moderne.
Si on retient l'idée d'une particularité attachée à la « place » de l'humain (l.3, 16) au sein du « cosmos » (l.3, l.14) diraient les Anciens, au sein de "la nature" (l.1) dirions-nous, la thèse de l'auteure ne consiste pas pour autant à situer l'être humain au-dessus ou au-dessous de tous les autres êtres, c'est-à-dire dans un quelconque rapport de supériorité ou d'infériorité. Car si l'on peut dire à la fois que l'être humain fait partie de la nature et que cependant il est un être à part, c'est selon Arendt parce que, n'ayant aucune place assignée, l'homme doit en « trouver » une (l.16). En bref, la place de l'humain dans « la nature » (l.1) est la place d'un être qui doit trouver sa place parmi les autres êtres.
En vue de soutenir cette thèse, l'argumentation de l'auteure consiste principalement à reformuler la question de la situation propre à l'homme en des termes qui concernent le rapport des humains non plus à l'espace mais au temps. Car, ayant montré dans le premier paragraphe, l'étrangeté et la solitude des hommes en ce monde, « seuls mortels » (l.5) au milieu d'êtres tous immortels, l'auteure peut ensuite, dans une seconde étape correspondant au second paragraphe, présenter l'immortalité de l'humain comme une quête et une conquête, en tous cas comme un « devoir » de l'homme à l'égard de lui-même (l. 13). Alors que les espèces animales et les dieux sont immortels, les hommes s'efforcent de le devenir. Encore faudra-t-il que d'une part, en tant qu'individus, les humains aient accompli des « choses » mémorables et que, d'autres part, en tant que formant une communauté politique et érigeant des modèles culturels, les hommes veuillent ne pas perdre la mémoire de telles « choses » (l.14).
On comprend ainsi que tout en partant d'une réflexion sur deux facultés propres à l'humain, la conscience de soi en tant que sujet et la raison comme faculté de penser le tout dont l'humain n'est qu'une partie, le texte permet par ailleurs de penser l’humain aussi bien en tant que sujet individuel que comme membre d'une communauté politique instituant des modèles culturels d’humanité, en même temps que des critères pour une mémoire collective, autrement dit pour constituer l'histoire de cette communauté.
[Commentaire
développé]
« Les
Grecs » : comme l'annoncent ces tout premiers mots, Arendt
ne cherche pas ici à formuler sa propre pensée sur la condition
humaine, ni même à restituer celle d'un auteur en particulier, mais
plus généralement à nous présenter une façon de penser propre à
toute une culture, voire à une civilisation toute entière. Voici
donc, si on en croit Arendt, ce que les anciens grecs, contemporains
de Socrate, Platon et Aristote aux 5 et 4ème siècles avant notre
ère, pensaient de l'homme, de sa condition, de sa place dans
« l'univers », dans l'ensemble de tout ce qui peut
exister, dieux et animaux confondus : « les hommes sont
'les mortels', les seuls mortels existants», par conséquent les
seuls « préoccupés » par la quête d'immortalité.
Si
étrange cette façon de penser puisse-t-elle sembler à un lecteur
de « notre ère », en son 21ème siècle !, du moins
devons-nous reconnaître que sur ce point précis, à savoir le fait
unique de la mortalité humaine au sein de « la nature »,
elle porte sur un point qui est central dans toute culture. En effet,
à partir de notre façon de penser notre place en ce monde, la place
de l'homme et le temps pendant lequel chaque homme peut occuper cette
place, se déduisent logiquement toutes nos conduites : le
rapport à soi-même, le rapport à autrui, le rapport aux autres
vivants et même le rapport à la matière, qui finit par nous
apparaître comme une scène sans âge pour des acteurs éphémères.
A partir d'autres présupposés culturels, ceux du christianisme,
Pascal le souligne dans ses Pensées sans complaisance et
avec force : « Partis. Il faut vivre autrement dans le monde,
selon ces diverses suppositions : (1) s’il est sûr qu’on y sera
toujours, si on pourrait y être toujours; (...) ».
La
question, à laquelle la civilisation grecque apporte une réponse
...« grecque », peut donc être considérée comme une
question au cœur de toute culture, voire la question qui fonde toute
culture. En fonction de l'idée qu'ils se feront de ce qu'ils sont et
de la place qui leur revient, les hommes feront en effet
l'acquisition de tout ce qui correspond à cet idée, à cet idéal
d'humanité, pour pouvoir s'y conformer. En ce sens, la pensée
grecque nous est proche par la question qu'elle nous adresse :
elle met en question non pas seulement la condition de l'homme
« moderne » mais bel et bien, pour reprendre le titre
précis du livre de Arendt, « la condition humaine » (The
human condition est le titre original de son livre).
A
supposer que la position de «l'homme moderne» soit éloignée de
celle des anciens Grecs, constatons cependant la cohérence propre à
la prise de position grecque, qui nous permet de la comprendre. Si
notre propre «conception» des choses nous conduisait à penser que
rien autour de nous n'était exposé à la mort, à la disparition ou
à la destruction, ne nous étonnerions-nous pas de notre redoutable
exception ? Ne nous sentirions-nous pas littéralement déplacés,
à part, nous qui par ailleurs sommes les êtres aux yeux, à la
pensée desquels le réel déploie son étendue plus visiblement que
pour n'importe quels autres êtres ? Par notre observation, nos
connaissances diverses et même nos investigations scientifiques, en
biologie, en physique et en astrophysique, nous sommes les êtres qui
peuvent avoir la conscience la plus claire, la plus approfondie, la
plus élargie, du réel, de tout ce qu'il y a sur la Terre et bien
au-delà, et nous serions donc d'autant plus cruellement confrontés
au constat que nous seuls serions mortels : par notre
observation nous occupons «le centre» (l.) d'une sphère, le
«cosmos» selon la conception grecque, à l'intérieur de laquelle
nous nous sentons à part, nous dont les vies individuelles
sont «de toutes parts» environnées par «une nature immortelle et
des dieux immortels».
Si
les religions monothéistes, judaïsme, islam et christianisme, nous
ont habitués à concevoir une divinité au singulier, sans
dérivation d'une divinité à partir d'une autre, donc sans
commencement et sans fin, c'est-à-dire une divinité éternelle, de
tous les temps parce qu'en dehors du temps, le concept d'un dieu
naissant mais ne mourant point, donc n'ayant pas toujours existé
mais existant pour toujours, contredit la culture religieuse de la
plupart d'entre nous. Toutefois, en ce domaine, il n'est question que
de dogmes, c'est-à-dire d'affirmations indémontrables, auxquels il
serait vain d'opposer la logique de nos raisonnements. En revanche,
l'affirmation concernant les «animaux» (l. ), existant «uniquement
comme membres d'une espèce», et donc n'ayant pas de «vie
individuelle» peut surprendre puisque par ailleurs la moindre
observation empirique permet d'établir qu'il y a bien ici «un»
papillon, là «une» fourmi, là-bas «un» chat, peut-être le mien
auquel il m'a plu de donner un nom et dont il m'arrive peut-être de
fêter l'anniversaire.
Telle
est pourtant, d'après Arendt, la pensée des anciens Grecs
concernant la vie animale : un animal ne constitue pas un être,
qui pourrait commencer à être et qui donc pourrait cesser d'être,
pas plus que les «membres» (l. ) d'un corps ne constituent des
êtres à part entière mais «uniquement» une partie d'un corps
total, qui lui seul a une réalité biologique, qui lui seul est «un»
être. Car les membres d'un corps n'existent pas en eux-mêmes ni
pour eux-mêmes : ils existent «uniquement» par le
corps total (en lui appartenant) et «uniquement» pour
celui-ci (ils n'en sont que les moyens). En effet, un «être» n'est
pas toujours «un» être. Par exemple, cette fleur que je cueille et
dont j'orne ma table n'est pas un être : biologiquement, ce
n'est que l'organe au service de la reproduction du végétal, pas
plus que la « feuille morte » que je ramasse n'a pu
mourir car elle n'a jamais commencé d'être un être et ne peut donc
cesser de l'être.
Pour
qu'il y ait une mort, une fin, une cessation de l'être, encore
faut-il qu'il y ait eu naissance, commencement, advenue d'un être.
Ce qui n'a pas de commencement ne peut avoir de fin et, si les
pessimistes (ou, comme ils préfèrent s'appeler, les «réalistes»)
ont coutume de dire que «tout a une fin», encore faudrait-il
préciser que seul ce qui a commencé d'être un être peut cesser
d'être. Par exemple, toute histoire qui un jour a commencé pourra
finir, toute mélodie qui émerge sur fond de bruits indifférenciés
pourra s'achever, tout événement qui surgit pourra céder devant la
venue d'un autre. Pour pouvoir commencer d'être et pour pouvoir
cesser d'être, pour pouvoir avoir des limites dans le temps, encore
faut-il que l'être soit lui-même délimité, qu'il soit «un»
être, non pas seulement aux yeux d'un autre être, mais pour
lui-même. Autrement dit, il faut que l'être soit sujet, sujet
conscient d'être un être, conscient de sa propre durée, d'une "histoire" qu'il pourra "reconnaître" (l. ) et d'abord se remémorer, raconter : un être qui, ayant un jour commencé à être,
pourra cesser d'être – sauf s'il s'agit d'un dieu de la mythologie
grecque ! Tant qu'il n'y a pas un sujet se pensant comme étant
un être et se situant parmi d'autres êtres dans l'espace et dans la durée, il y a de l'être, au
sens où l'on dit «de l'eau», «de» l'acier » ou «du»
sable, non pas des êtres.
A
l'inverse, pour tout ce qui n'est pas un être, il n'y a ni début ni
fin, seulement des phases dans un processus de transformation qui se
poursuit indéfiniment. C'est le cas de la matière : aucun
corps physique n'est « un être », ni même « un
corps ». Car il n'est qu'un agglomérat de matière,
transitoire, en cours de transformation, sans unité réelle - ce
qu'on résume souvent en reformulant la pensée du chimiste
Lavoisier : « « Rien ne se perd, rien ne se crée,
tout se transforme ». Au sein de la matière, rien ne commence
à être, rien ne cesse d'être, tout n'est que phase, stade ou
maillon dans un processus continu et continuel de transformation.
Peut-on
cependant appliquer ce même raisonnement à la matière organique,
animée, vivante ? Assurément si, comme le rappelle Arendt,
« la vie biologique » (l. ) est définie par sa propriété
principale : le processus cyclique de reproduction du même. En
effet, toutes les opérations vitales ont, comme le remarque Kant dans la Critique de la faculté de juger, une forme cyclique :
la reconstitution des forces par le repos et l'alimentation,
la cicatrisation par le renouvellement des cellules ou du
tissu cellulaire et, surtout, la reproduction du même par le même
(par division ou par union). Biologiquement ce qui est réel, ce qui
constitue « un être », ce pour quoi tout le reste n'est
que moyen ou maillon, c'est l'espèce et c'est l'espèce dont
« l'immortalité est garantie ». Et si, fort de nos
connaissances modernes, nous invoquons la disparition des espèces,
dès lors nous devrons admettre que la seule réalité biologique, le
seul être c'est la chaîne qui unit toutes les espèces au sein de
l'évolution, l'une se transformant en l'autre, chacune n'étant
qu'une phase transitoire dans un processus. La seule réalité
biologique sera donc non pas telle ou telle espèce animale, encore
moins tel ou tel être vivant, mais « le vivant », l'élan
vital ou encore « la vie » au sens biologique.
Dans
ce cas, pourquoi seul l'homme pourrait-il être, en plus d'être
considéré comme le membre d'un tout, regardé comme un être à
part entière ? Parce que, seul, il peut lui-même se regarder
lui-même comme un être à part entière, parce que seul il a
conscience d'être un être, c'est-à-dire un seul et même être
tout au long de son existence, « une seule et même personne »
écrit Kant dans son Anthropologie du point de vue pragmatique,
c'est-à-dire le sujet permanent de tous les changements qui peuvent
lui survenir, depuis le premier, la naissance, jusqu'à l'ultime,
autrement dit le sujet qui porte le récit d' «une histoire
reconnaissable». Alors que la vie biologique est un cercle où la
fin rejoint le début, l'existence d'un sujet est « une
droite » (l. ), un segment dont la naissance et la mort sont
les deux limites. Concluons l'étude de ce premier paragraphe en
résumant la pensée de Arendt au sujet des Grecs. L'existence d'un
sujet n'est pas la vie biologique, la vie zoologique : elle est
« une droite qui coupe » ou, mieux, une tangente au
cercle en un point de ce cercle. Au sens biologique, la vie est donc
un processus où rien ne peut naître ni ne peut mourir mais où tout
se transforme (le problème de « la poule et l'oeuf » est
donc un faux-problème). La « mort » n'est donc pas « la
fin de la vie » : la mort ne se comprend pas par rapport
à la vie, mais par rapport à la naissance. Ce n'est pas parce qu'il est vivant que l'homme meurt, mais parce qu'il est un sujet. D'ailleurs, si la mort
était «la fin de la vie», le concept de «morts-vivants»
pourrait-il avoir un sens ?! Or, comme nous le montrent les
nombreuses fictions actuelles, le mort-vivant n'est pas « mort
à la vie », mais à sa propre subjectivité.
Le
concept de sujet est au centre du second paragraphe, lequel se déduit
logiquement du précédent. Alors que, tant pour la divinité que
pour l'espèce animale, l'immortalité est leur être, chez l'homme
elle est un devoir-être. Quelle est la nature de ce « devoir »
(l. ) ? est-ce un devoir moral, social, civique ? Difficile
de le réduire à un domaine ou un aspect spécifique de l'existence
des hommes tant ce devoir concerne la condition humaine en tant que
telle. Car c'est en tant que mortel, donc en qu'il est un sujet, que
chaque homme se doit de conquérir son immortalité. Ce devoir
touche au fondement même qui rend possible tous les domaines,
moraux, sociaux et politiques, de la coexistence des hommes entre
eux. Si chacun « doit » conquérir son immortalité ce
n'est pas, comme pour les autres devoirs humains, au sens chacun
aurait une dette envers autrui, ou envers le corps social, ou envers
la communauté politique. Ce devoir ne relève pas d'une dette
résultant d'un échange avec les autres hommes : il est une
aspiration propre à notre condition de sujets.
D'ailleurs,
cette conquête ne s'accomplira qu'à certaines conditions qui toutes
mettent en jeu les hommes en tant que sujets. Car, si l'un aura dû
accomplir des actions mémorables qui puissent lui donner une
postérité, encore faudra-t-il que d'autres veuillent subjectivement
en garder la mémoire en se la transmettant de sujet à sujet.
Certes, cette transmission suppose des critères communs qui
permettent de juger de la valeur mémorable des actes, ce qui ne peut
avoir lieu qu'au sein d'une communauté politique et par le biais de
ses institutions. Mais, le sujet est toutefois au bout de cette
transmission puisque à travers la mémoire d'un personnage dit
historique ou d'une figure héroïque, chaque sujet trouve un modèle
à travers lequel il façonnera sa propre subjectivité, à travers
lequel il apprendra à être sujet.
[Conclusion]
A
travers le thème de la quête d'immortalité, exclusivement humaine,
la culture grecque se montre donc exemplaire des questions qui se
posent à toutes cultures et qui toutes les fondent. Car elle apporte
une réponse non seulement à la question de la situation des êtres
humains parmi tous les êtres, mais aussi à la question de savoir
comment tout homme peut devenir sujet, auteur de ses actes, citoyen
au sein d'une communauté politique, acteur à travers l'histoire et
d'abord sujet d'une mémoire collective.
Cet
extrait de La condition de l'homme moderne
adresse donc aux hommes des 20 et 21èmes siècles une question venue de
l'antiquité, période lointaine dont notre mémoire conserve cependant les
noms emblématiques de ceux mêmes qui ont fondé notre tradition
philosophique : quel modèle d'humanité notre culture
propose-t-elle aujourd'hui qui permette aux "modernes" d'assumer leur
propre mortalité et, inséparablement, leur subjectivité ?