« J'ai
lu dans les écrits des Arabes que le Sarrasin Abdallah, comme on lui
demandait quel spectacle lui paraissait le plus digne d'admiration
sur cette sorte de scène qu'est le monde, répondit qu'il n'y avait
à ses yeux rien de plus admirable que l'homme. Pareille opinion est
en plein accord avec l'exclamation de Mercure : «O Asclepius, c'est
une grande merveille que l'être humain». (...) Finalement, j'ai cru
comprendre pourquoi l'homme est le mieux loti des êtres animés,
digne par conséquent de toute admiration, et quelle est en fin de
compte cette noble condition qui lui est échue dans l'ordre de
l'univers, où non seulement les bêtes pourraient l'envier, mais les
astres, ainsi que les esprits de l'au-delà.
(...)
Déjà Dieu, Père et architecte suprême, avait construit avec les
lois d'une sagesse secrète cette demeure du monde que nous voyons,
auguste temple de sa divinité: il avait orné d'esprits la région
supra-céleste, il avait vivifié d'âmes éternelles les globes
éthérés, il avait empli d'une foule d'êtres de tout genre les
parties excrémentielles et bourbeuses du monde inférieur. Mais, son
oeuvre achevée, l'architecte désirait qu'il y eût quelqu'un pour
peser la raison d'une telle œuvre, pour en aimer la beauté, pour en
admirer la grandeur. Aussi, quand tout fut terminé (comme
l'attestent Moïse et Timée), pensa-t-il en dernier lieu à créer
l'homme. Or il n'y avait pas dans les archétypes de quoi façonner
une nouvelle lignée, ni dans les trésors de quoi offrir au nouveau
fils un héritage, ni sur les bancs du monde entier la moindre place
où le contemplateur de l'univers pût s'asseoir. Tout était déjà
rempli: tout avait été distribué aux ordres supérieurs,
intermédiaires et inférieurs. Mais il n'eût pas été digne de la
Puissance du Père de faire défaut, comme épuisée dans la dernière
phase de l'enfantement; il n'eût pas été digne de la Sagesse de
tergiverser, faute de résolution, dans une affaire nécessaire; il
n'eût pas été digne de l'Amour bienfaisant que l'être appelé à
louer la libéralité divine dans les autres créatures fût
contraint de la condamner en ce qui le concernait lui-même. En fin
de compte, le parfait ouvrier décida qu'à celui qui ne pouvait rien
recevoir en propre serait commun tout ce qui avait été donné de
particulier à chaque être isolément. Il prit donc l'homme, cette
œuvre indistinctement imagée, et l'ayant placé au milieu du monde,
il lui adressa la parole en ces termes : «Si nous ne t'avons donné,
Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni
aucun don particulier, c'est afin que la place, l'aspect, les dons
que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon
ton vœu, à ton idée. Pour les autres, leur nature définie est
tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune
restriction ne te bride, c'est ton propre jugement, auquel je t'ai
confié, qui te permettra de définir ta nature. »
Pic
de la Mirandole (15ème s.), De
la dignité de l'homme