« Celui
qui se nourrit des glands qu'il a ramassés sous un chêne, ou des
pommes qu'il a cueillies aux arbres d'un bois, se les est
certainement appropriés. Personne ne peut nier que ces aliments
soient à lui. Je demande donc : Quand est-ce que ces choses
commencent à être à lui? Lorsqu'il les a digérées, ou lorsqu'il
les a mangées, ou lorsqu'il les a fait bouillir, ou lorsqu'il les a
rapportées chez lui, ou lorsqu'il les a ramassées ? Il est clair
que si le fait, qui vient le premier, de les avoir cueillies ne les a
pas rendues siennes, rien d'autre ne le pourrait. Ce travail a établi
une distinction entre ces choses et ce qui est commun; il leur a
ajouté quelque chose de plus que ce que la nature, la mère commune
de tous, y a mis ; et, par là, ils sont devenus sa propriété
privée.
Quelqu'un
dira-t-il qu'il n'avait aucun droit sur ces glands et sur ces pommes
qu'il s'est appropriés de la sorte, parce qu'il n'avait pas le
consentement de toute l'humanité pour les faire siens? était-ce un
vol, de prendre ainsi pour soi ce qui appartenait à tous en commun ?
si un consentement de ce genre avait été nécessaire, les hommes
seraient morts de faim en dépit de l'abondance des choses [...].
Nous voyons que sur les terres communes, qui le demeurent par
convention, c'est le fait de prendre une partie de ce qui est commun
et de l'arracher à l'état où la laisse la nature qui est au
commencement de la propriété, sans laquelle ces terres communes ne
servent à rien. Et le fait qu'on se saisisse de ceci ou de cela ne
dépend pas du consentement explicite de tous. Ainsi, l'herbe que mon
cheval a mangée, la tourbe qu'a coupée mon serviteur et le minerai
que j'ai déterré, dans tous les lieux où j'y ai un droit en commun
avec d'autres, deviennent ma propriété, sans que soit nécessaire
la cession ou le consentement de qui que ce soit. Le travail, qui
était le mien, d'arracher ces choses de l'état de possessions
communes où elles étaient, y a fixé ma propriété ».
Locke, Second
Traité du Gouvernement Civil (1690)