C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Koltès / Répondre à un autre désir, y contrevenir ou y correspondre, c'est ce que chacun désire

   [1er personnage] : « Car je sais dire non et j’aime dire non, je suis capable de vous éblouir de mes non, de vous faire découvrir toutes les façons qu’il y a de dire non, qui commencent par toutes les façons qu’il y a de dire oui, comme les coquettes qui essaient toutes les chemises et toutes les chaussures pour n’en prendre aucune, et le plaisir qu’elles ont à les essayer toutes n’est fait que du plaisir qu’elles ont de toutes les refuser. Décidez-vous, montrez-vous : êtes-vous la brute qui écrase le pavé, ou êtes-vous commerçant ? Dans ce cas étalez votre marchandise d’abord, et l’on s’attardera à la regarder. »


   [2nd personnage] : « C’est parce que je veux être commerçant, et non brute, mais vrai commerçant, que je ne vous dis pas ce que je possède et que je vous propose, car je ne veux pas endurer de refus, qui est la chose au monde que tout commerçant redoute le plus, parce que c’est une arme dont il ne dispose pas lui-même. Ainsi moi, je n’ai jamais appris à dire non et ne veux point l’apprendre; mais toutes les sortes de oui, je les sais : oui attendez un peu, attendez beaucoup, attendez avec moi une éternité là; oui je l’ai, je l’aurai, je l’avais et je l’aurai à nouveau, je ne l’ai jamais eu mais je l’aurai pour vous. Et que l’on vienne me dire : mettons qu’on ait un désir, qu’on l’avoue, et que vous n’ayez rien pour le satisfaire ? je dirai : j’ai ce qu’il faut pour le satisfaire; si l’on me dit : imaginez pourtant que vous ne l’ayez pas ? même en imaginant, je l’ai toujours. Et qu’on me dise : mettons qu’en fin de compte ce désir soit tel qu’absolument vous ne vouliez même pas avoir l’idée de ce qu’il faut pour le satisfaire ? Eh bien, même en ne le voulant pas, malgré cela, j’ai ce qu’il faut, quand même.»
Bernard-Marie Koltès,
Dans la solitude des champs de coton (1986)