[1er
personnage] : « Or, de même que je sais – sans me
l’expliquer mais avec une certitude absolue – que la terre sur
laquelle nous sommes posés vous et moi et les autres est elle-même
posée en équilibre sur la corne d’un taureau et maintenue dans
cette position par la main de la providence, de même je tâche, sans
tout à fait savoir pourquoi mais sans hésitation, de rester dans la
limite de ce qui est convenable, évitant l’inconvenant comme un
enfant doit éviter de se pencher au bord du toit avant même de
comprendre la loi de la chute des corps. (…)
[2nd
personnage] : « Ainsi vous prétendez que le monde sur lequel
nous sommes posés, vous et moi, est tenu à la pointe de la corne
d’un taureau par la main d’une providence ; or je sais,
moi, qu’il flotte, posé sur le dos de trois baleines ; qu’il
n’est point de providence ni d’équilibre, mais le caprice de
trois monstres idiots. Nos mondes ne sont donc pas les mêmes, et
notre étrangeté mêlée à nos natures comme le raisin dans le
vin. »
Bernard-Marie
Koltès,
Dans
la solitude des champs de coton
(1986)