« Ce
qui caractérise tous les processus naturels c’est qu’ils se
produisent sans l’aide de l’homme, les choses naturelles sont
celles qui ne sont pas « fabriquées », qui poussent
toutes seules. (C’est aussi le sens authentique du mot « nature »,
qu’on le fasse dériver de la racine latine nasci,
naître, ou qu’on le fasse remonter à son modèle grec, physis,
qui vient de phyein,
naître, croître.) A la différence des productions de la main de
l’homme, qui doivent être réalisées étape par étape et dans
lesquelles les processus de fabrication est entièrement distinct de
l’existence de l’objet fabriqué, l’existence de la chose
naturelle n’est pas séparée du processus par lequel elle vient à
l’être, elle lui est en quelque sorte identique : la graine
contient, et en un sens elle est déjà
l’arbre, et l’arbre cesse d’exister lorsque cesse le processus
de croissance par lequel il est né. Si
nous considérons ces processus par rapport à la finalité humaine,
qui a un commencement voulu et une fin déterminée, ils ont un
caractère d’automatisme. Nous appelons automatiques tous les
mouvements qui s’enchaînent d’eux-mêmes et par conséquent
échappent aux interventions voulues et ordonnées. Dans le monde de
production qu’introduit l’automatisation, la distinction entre
l’opération et le produit, de même que la primauté du produit
sur l’opération (qui n’est qu’un moyen en vue d’une fin),
n’ont plus de sens, elles sont désuètes. Les catégories de
l’homo faber et de
son monde ne s’appliquent pas davantage ici qu’à la nature et à
l’univers naturel".
Hannah
Arendt,
La
condition de l’homme moderne (p.
203-204, tr. G. Fradier), 1961