C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Pascal / "les qualités" ne sont pas la "substance", le "moi" n'est pas le "je" / thèse et étapes du texte


« Moi », « je » : y a-t-il des mots plus simples qu’on puisse vouloir définir ? 
Mais ce qui est simple est aussi élémentaire, fondamental, pro-fond, donc difficile d’accès : tout le reste ne repose-t-il pas dessus ? D’où le contraste entre l’apparente naïveté de la question posée par Pascal dans sa Pensée commençant par «Qu’est-ce que le moi ?» et la complexité de la réponse apportée. 
   Car la question reçoit une réponse, semble-t-il, seulement négative : le "moi" (l. 1,3,7,10), la «substance» (11), ce n’est pas les « qualités » du moi (8,10,12,13,15), comme si pour Pascal le plus important était avant tout de dénoncer l’illusion, commune à tous les moi, qui consiste à confondre d’une part « le moi » et, d’autre part, le « à moi », autrement dit confondre ce qu’est le moi avec ce qu’a le moi - et qu’il pourrait donc « perdre » (8). 
   Les étapes de cette Pensée, dont le thème principal est le sujet, se déduisent de la reformulation de la question qui a lieu dès la deuxième phrase du texte, « qu’est-ce que le moi ? » devenant : quel regard pourrait sinon s'en saisir, du moins s'approcher du moi? En effet, trois points de vue sur le moi se succèdent tout au long du texte : d’abord le survol indifférent par un observateur lui-même anonyme (de 2 à 4), puis le regard amoureux de « la beauté » physique du moi (de 4 à 6), enfin les égards pour la beauté intérieure du moi, ses «qualités» spirituelles, discernement ou « mémoire » (de 7 à 8). Là encore une surprise attend le lecteur car croyant se rapprocher du moi il se pourrait que, parcourant les différents degrés d’attention au moi, il s’en éloigne. 
   Toutefois, si labyrinthiques soient les voies empruntées par le questionnement, ce n'est jamais l'existence du moi qui est remise en question, seulement la légitimité de l'aimer à l'exclusion des autres moi - à supposer qu'un regard humain puisse l'atteindre dans sa nudité, dégagé de toutes ses qualités et qualifications (de 8 à 13). 
    Entre-temps, un autre thème est venu s’articuler au premier : autrui. Car telle est la complexité du dispositif d’introspection mis en place par Pascal : je peux me mettre à la place d’un autre, un autre que moi, un autre moi, à seule fin de me demander ce qu’autrui voit de moi et de m’interroger moi-même ce qu’est le moi, un moi. Ce qui revient à montrer qu'en tant que sujet observant, pensant, tout ego peut prendre la place d'un autre ego, d'un alter ego.
   Cette idée de circularité entre les moi, entre ego et alter ego, est d’ailleurs confirmée par ce qui dans la dernière phrase ressemble à une sorte de morale (de 14 à 15). Chaque moi est invité à voir au-dedans de lui-même ce qu’il semble si bien voir chez autrui, à savoir cette prétention à se faire aimer, respecter, apprécier non pas pour ce qu’il est substantiellement, mais seulement pour les qualités qu’il a. 
   Ainsi, trois thèmes sont désormais mis en rapport : le sujet, autrui et la conscience puisque pour pouvoir comprendre ce qu’est le moi, encore aura-t-il fallu reconnaître les illusions propres au moi, à tous les moi, en prendre conscience et s’en défaire, à commencer par l'illusion de l'unicité de chaque moi substantiel.