« Pour
rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple :
une pierre par exemple reçoit d'une cause extérieure qui la pousse,
une certaine quantité de mouvements et, l'impulsion de la cause
extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir
nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est
une contrainte, non parce qu'elle est nécessaire, mais parce qu'elle
doit être définie par l'impulsion d'une cause extérieure. Et ce
qui est vrai de la pierre il faut l'entendre de toute chose
singulière, quelle que soit la complexité qu'il vous plaise de lui
attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que
toute chose singulière est nécessairement déterminée par une
cause extérieure à exister et à agir d'une certaine manière
déterminée.
Concevez
maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle
continue de se mouvoir, pense et sache qu'elle fait effort, autant
qu'elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu'elle
a conscience de son effort seulement et qu'elle n'est en aucune façon
indifférente, croira qu'elle est très libre et qu'elle ne persévère
dans son mouvement que parce qu'elle le veut.
Telle
est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui
consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits
et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant croit
librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se
venger et, s'il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par
un libre décret de son âme ce qu'ensuite, revenu à la sobriété,
il aurait voulu taire. De même un délirant, un bavard, et bien
d'autres de même farine, croient agir par un libre décret de l'âme
et non se laisser contraindre. »
Spinoza,
Lettre
à Schuller
(1674)