« En
voyant l'aveuglement et la misère de l'homme, en regardant tout
l'univers muet et l'homme sans lumière abandonné à lui-même, et
comme égaré dans ce recoin de l'univers sans savoir qui l'y a mis,
ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant, incapable
de toute connaissance, j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait
porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui
s'éveillerait sans connaître et sans moyen d'en sortir. Et sur cela
j'admire comment on n'entre point en désespoir d'un si misérable
état. Je vois d'autres personnes auprès de moi d'une semblable
nature. Je leur demande s'ils sont mieux instruits que moi. Ils me
disent que non et sur cela ces misérables égarés, ayant regardé
autour d'eux et ayant vu quelques objets plaisants s'y sont donnés
et s'y sont attachés. Pour moi je n'ai pu y prendre d'attache et
considérant combien il y a plus d'apparence qu'il y a autre chose
que ce que je vois j'ai recherché si ce Dieu n'aurait point laissé
quelque marque de soi (…) ».
Blaise
Pascal, Pensées