« La
pluralité humaine, condition fondamentale de l’action et de la
parole a le double caractère de l’égalité et de la distinction.
Si les hommes n’étaient pas égaux, ils ne pourraient se
comprendre les uns les autres, ni comprendre ceux qui les ont
précédés ni préparer l’avenir et prévoir les besoins de ceux
qui viendront après eux. Si les hommes n’étaient pas distincts,
chaque être humain se distinguant de tout autre être présent,
passé ou futur, ils n’auraient besoin ni de la parole ni de
l’action pour se faire comprendre. Il suffirait de signes et de
bruits pour communiquer* des désirs et des besoins immédiats et
identiques.
L'individualité humaine n'est pas l'altérité (...). L’altérité
sous sa forme la plus abstraite ne se rencontre que dans la
multiplication pure et simple des objets inorganiques, alors que
toute vie organique montre déjà des variations et des distinctions
même entre spécimens d’une même espèce. Mais seul l’homme
peut exprimer cette distinction et se distinguer lui-même ; lui
seul peut se communiquer
au lieu de communiquer quelque chose, la soif, la faim, l’affection,
l’hostilité ou la peur. Chez l’homme l’altérité, qu’il
partage avec tout ce qui existe, et l’individualité, qu’il
partage avec tout ce qui vit, deviennent unicité, et la pluralité
humaine est la paradoxale pluralité d’êtres uniques. »
Hannah
Arendt,
La condition de l'homme moderne (p.231-232, tr. G. Fradier), 1961
La condition de l'homme moderne (p.231-232, tr. G. Fradier), 1961