C.-O. Verseau professeur de philosophie

HLP / Une responsabilité radicalement nouvelle selon Hans Jonas

   

    Pourquoi, d’après Hans Jonas, l’homme est-il devenu un danger pour lui-même?

      "Le danger qui nous menace actuellement vient-il encore du dehors ? Provient-il de l’élément sauvage que nous devons maîtriser grâce aux formations artificielles de la culture ? C’est encore parfois le cas, mais un flot nouveau et plus dangereux se déchaîne maintenant de l’intérieur même et se précipite, détruisant tout sur son passage, y compris la force débordante de nos actions qui relèvent de la culture. C’est désormais à partir de nous que s’ouvrent les trouées et les brèches à travers lesquelles notre poison se répand sur le globe terrestre, transformant la nature tout entière en un cloaque pour l’homme. Ainsi les fronts se sont-ils inversés. Nous devons davantage protéger l’océan contre nos actions que nous protéger de l’océan. Nous sommes devenus un plus grand danger pour la nature que celle-ci ne l’était autrefois pour nous. Nous sommes devenus extrêmement dangereux pour nous-mêmes et ce, grâce aux réalisations les plus dignes d’admiration que nous avons accomplies pour assurer la domination de l’homme sur les choses. C’est nous qui constituons le danger dont nous sommes actuellement cernés et contre lequel nous devons désormais lutter. Il s’agit là de quelque chose de radicalement nouveau : aucune des obligations que nous connaissons n’est jamais née d’une impulsion salvatrice commune."

Hans Jonas, «Technique, liberté, obligation» 1987 paru dans Une éthique de la nature



Comment peut-on être « cerné » par un danger qui vient « de l’intérieur »? Telle est la situation paradoxale dans laquelle selon Hans Jonas se trouveraient les humains, devenus aujourd'hui « extrêmement dangereux pour [eux]-mêmes » (l.11). Toutefois, dans cet extrait de Une éthique de la nature, l’auteur n’identifie pas à proprement parler les causes expliquant une telle situation. Plutôt décrit-il en quoi consiste cette situation, radicalement nouvelle (l.16), en rupture avec les époques précédentes dans l’histoire de l’humanité. L’humanité serait en effet devenue une menace pour elle-même du fait que sous l’effet de ses « actions » (l.9) et « réalisations » (l.12), notamment « les plus dignes d’admiration » (l.12), la nature a cessé d’être un foyer de ressources vitales pour se transformer en un véritable « cloaque » (l.8), c’est-à-dire un lieu hostile à la vie.

Si nous voulons comprendre le rapport qu’à travers la nature les humains entretiennent désormais avec eux-mêmes, nous devons donc prendre la mesure du renversement survenu (l.8) et redéfinir les limites entre le dehors et le dedans, entre la culture et la barbarie, entre le progrès et la régression.