Voici 15 textes qui, d'une extrémité à l'autre de l'histoire de la philosophie, peuvent être mis en perspective :
[1]
Sophocle
(- 495 / -
406), extrait de Antigone
[3]
Platon
(-427 > -347),
extrait de Protagoras
[4]
Aristote
(-384 > -
322), extrait de Les
Parties des animaux
[5]
Pline
l'ancien
(23 -79), extrait de Histoire
naturelle
[6]
Ibn
Rochd, dit Averroès
(1126-1198), extrait du
Discours
décisif
[7]
Pic
de la Mirandole
(1463-1494),
extrait de De
la dignité de l'homme
[8]
David
Hume
(1711-1776), extrait
de Traité
de la nature humain
[11]
Henri
Bergson (1859-1941),
extrait
de Les
deux sources
[13]
Martin
Buber
(1878-1965), extrait de Le
problème de l'homme
[15]
Jean-Paul
Sartre (1905-1980), extrait de L'existentialisme
est un humanisme
Ces 15
textes permettent d'aborder les thèmes du programme à travers trois
axes de réflexion :
- ÊTRE
- CONNAÎTRE
- AGIR
L'ensemble
de ces textes tend à dessiner une sorte de portrait de l'être
humain à partir de trois domaines :
- l'essence humaine : peut-on définir ce qu'est l'être humain et, à partir de ce qu'il est, déterminer ce qu'il fera ?
- les connaissances humaines : leur exigence de vérité, leurs méthodes
- les actions humaines : leur sens, leurs règles, les modèles (moral, politique, religieux, etc.) qui fondent ces règles
- « le sujet » et « la culture » appellent une réflexion sur ce qu'est l'humain en partant d'un double constat : d'une part, l'humain est essentiellement fait des cultures qui le façonnent et, d'autre part, au sein de sa culture propre, chaque humain est appelé à se faire une idée de l'humain, sorte de définition subjective de ce qu'est l'humain
- « la raison et le réel » appelle une réflexion sur la démarche qui permet à l'humain de se représenter la réalité : en connaissant la réalité, en en faisant la science, l'être humain pourra, ou non, trouver sa propre place parmi tous les êtres constituant celle-ci.
- « la politique » et « la morale » appellent une réflexion sur les valeurs aux fondements des commandements, demandes et autres recommandations qui orientent les actions humaines
Ces 15
textes ont en commun un portrait qui présente l'humain comme un être étrange, étonnant, voire monstrueux, étranger en ce
monde, déplacé, insituable, et même difficilement ...portraiturable :
- le plus étonnant de tous les êtres (Sophocle)
- un être qui, face au monstre mythologique, doit reconnaître sa propre monstruosité (Anthologie palatine)
- une espèce oubliée qui n'a reçu aucune spécificité (Platon)
- un être qui n'est rien de déterminé, qui peut tout être (Aristote)
- un être qui n'est rien au-dedans, qui a tout au-dehors (Pline)
- une créature qui peut connaître son créateur en connaissant toutes les créatures (Averroès)
- une créature qui a reçu le don de se définir et de se conduire elle-même (La Mirandole)
- un être qui, pour être, doit être la partie d'un tout : le membre d'un corps social (Hume)
- un être qui a la faculté de se faire lui-même (Rousseau)
- un être qui « doit tout tirer de lui-même » (Kant)
- un être qui doit avoir de quoi être mais qui n'est pas ce qu'il a (Bergson)
- un animal qui nie sa propre animalité (Bataille)
- un être qui doit penser le monde pour pouvoir y habiter (Buber)
- un être qui établit ses propres conditions d'existence (Arendt)
A un tel
portrait de l'humain, on peut objecter que l'accepter ce serait déjà
tenir pour acquis ce qui reste au contraire à démontrer : que
l'humain est réellement un être à part, qu'il a une place particulière, qu'il
est incomparable aux autres êtres.
Commençons
par remarquer que l'ensemble des thèmes qui composent le programme
repose sur ce présupposé, tout en invitant éventuellement à le critiquer. En effet, chaque thème désigne soit une
faculté (la raison, la conscience, le langage, ...) soit un
domaine d'activités (l'art, l'histoire, l'Etat, la
religion, …) soit une valeur qui oriente l'action (la
vérité, la morale, la justice, …) le plus souvent présenté comme une spécificité humaine - comme si la philosophie était elle-même une "science de l'homme".
Par
ailleurs, l'attribution d'une place particulière ne présuppose pas
une valorisation de cette place et ne suggère aucunement que l'humain soit un être "supérieur" aux autres. L'adjectif qui, selon Sophocle,
qualifie tout particulièrement l'humain recouvre toutes les nuances
du « stupéfiant », depuis les plus condamnables
jusqu'aux plus louables, depuis le monstrueux jusqu'à l'admirable.
C'est d'ailleurs pour cette première raison que l'humain est
lui-même « étonnant » : l'humain est capable de
penser la réalité et de s'en « étonner »
selon toute l'ouverture laissée par la diversité des sujets d'étonnement - qui dépassent, et de loin, les dangers pour la survie et toutes les causes de peur.
Enfin,
constatons que l'objection contestant la validité d'un portrait qui donnerait à
l'humain une place indue se répond déjà à elle-même. C'est
précisément pour cette première raison que l'humain est un
être à part : il se fait une idée de lui-même et agit
conformément à elle, que cette idée soit fondée, ou erronée, ou
même complètement illusoire !
L'humain
est un être dont la conduite est déterminée par les pensées que
lui-même produit. Cette caractéristique ne pourrait-elle pas être
le point de départ d'une différence avec d'autres êtres dont le
comportement est déterminé par ce qu'ils sont (non pas par ce
qu'ils pensent être), par leur environnement tel qu'il est (non pas
tel qu'ils le pensent)?