Marx,
Le
capital (1867)
Introduction
à une explication du texte
En
quoi « le travail de l'homme » est-il une activité
proprement humaine ? Telle est la question à laquelle Marx
répond dans cet extrait du Capital et qui le conduit à
distinguer deux étapes dans son analyse. Car la première étape
(jusqu'à « son mode purement instinctif » l. ) ne fait
encore apparaître le travail que comme un simple « changement
de forme » (l. ) au sein d'un environnement naturel.
D'ailleurs, dans cet environnement, l'homme est lui-même défini
comme une « puissance naturelle » (l. ). En
travaillant, l'homme n'accomplirait donc rien qui soit propre à un
être vivant et pensant : « de prime abord »
le travail relèverait seulement d'une logique naturelle, vitale,
biologique, commune à tous les êtres vivants. Le travail ne serait
pas le propre de l'humain, seulement du vivant.
C'est
seulement dans la seconde partie que Marx présente le travail non
plus seulement comme le passage dans les choses d'une « forme »
à une autre, mais comme le passage de l'idée à la chose : de
la représentation à la présence de la chose. Le travail n'est
humain que dans la mesure où il consiste en une « réalisation »
(l. ) : il est un processus par lequel en partant de ce qui est idée ou image
(« imagination » l. ) conçu « avant » par
l'esprit on passe à la "chose" (res en
latin). Le travail est « réalisation », c'est-à-dire
un processus qui fait passer du concept à la chose, de la raison au réel, de l'intériorité d'une conscience à
l'ob-jet présent au-dehors de la représentation.
Telle
est donc la thèse de Marx dans un texte qui en quelques lignes
voudrait présenter l'être humain non pas seulement comme du vivant,
comme de la matière se reproduisant, comme un animal
laborans, « araignée »
ou « abeille », mais comme une «conscience»
(l. ), une raison ou encore un esprit mettant en forme la "matière"
(l. ) selon ses propres images, idées ou fins (« objectifs »
l. ), voire selon ses propres idéaux comme le suggère le double
sens de l'adverbe « idéalement » (l. ).
> Les mots dont l'analyse orientera
le développement de l'explication :
« Le travail
est de prime abord un
acte qui se passe
entre l’homme et la
nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis
de la nature le rôle d’une puissance naturelle.
Les forces dont son
corps est doué, bras et jambes, tête
et mains, il les met
en mouvement, afin de s’assimiler des
matières en leur donnant une forme utile à
sa vie. En même temps qu’il agit par ce
mouvement sur la nature extérieure et
la modifie, il modifie
sa propre nature,
et développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne nous
arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n’a pas
encore dépouillé son mode
purement instinctif. Notre point de départ
c’est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à
l’homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent
à celles du tisserand, et l’abeille
confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de
plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus
mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a
construit la cellule dans sa tête avant de
la construire dans la
ruche. Le résultat auquel
le travail aboutit, préexiste idéalement
dans l’imagination du travailleur. Ce n’est
pas qu’il opère seulement un changement de
forme dans les matières naturelles ; il y
réalise du même coup son propre but dont
il a conscience, qui détermine comme loi son
mode d’action, et auquel il doit subordonner
sa volonté ».