"S'il est impossible de trouver en chaque homme une essence
universelle qui serait la nature humaine, il existe pourtant une
universalité humaine de condition. Ce n'est pas par hasard
que les penseurs d'aujourd'hui parlent plus volontiers de la
condition de l'homme que de sa nature. Par condition ils entendent
avec plus ou moins de clarté l'ensemble des limites a priori qui
esquissent sa situation fondamentale dans l'univers. Les situations
historiques varient : l'homme peut naître esclave dans une
société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce qui ne
varie pas, c'est la nécessité pour lui d'être dans le monde, d'y
être au travail, d'y être au milieu d'autres et d'y être mortel.
Les limites ne sont ni subjectives ni objectives, ou plutôt elles
ont une face objective et une face subjective. Objectives parce
qu'elles se rencontrent partout et sont partout reconnaissables,
elles sont subjectives parce qu'elles sont vécues et ne sont
rien si l'homme ne les vit, c'est-à-dire ne se détermine librement
dans son existence par rapport à elles. Et bien que les projets
puissent être divers, au moins aucun ne me reste-t-il tout à fait
étranger parce qu'ils se présentent tous comme un essai pour
franchir ces limites ou pour les reculer ou pour les nier ou pour
s'en accommoder. En conséquence, tout projet, quelque individuel
qu'il soit, a une valeur universelle."
Sartre, L'existentialisme est un humanisme (segment 9), 1945-46