C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

"L'île au fleurs" de Furtado (1989) : réponses et responsabilité



Implication

Savoir engage.
Deux mots suffiraient à suggérer la portée du très célèbre court métrage réalisé par Jorge Furtado en 1989.
L'île aux fleurs se présente comme une encyclopédie et ses multiples entrées, toutes dépendantes les unes des autres, toutes s'appelant et entre elles se correspondant. Une fois éclos, le discours se développe par ramifications successives, juxtaposant dans l'espace et dans le temps des pages et des concepts logiquement imbriqués, strictement emboîtés, les uns par les autres étroitement impliqués. Chaque mot d'une phrase, chaque image d'une séquence, en contient cent autres qui s'ouvrent sous l'injonction du besoin impérieux de tout déplier, tout déployer, tout expliquer.
Tout dire, donc, tout redéfinir. Mais pour qui ? Qui ne saurait ce qu'est une tomate, une poule, un japonais ?
« J'ai voulu, déclare Furtado, montrer à un visiteur inter-planétaire comment est la Terre ». Le film ne peut donc rien apprendre aux Terriens que ceux-ci ne sachent déjà - si ce n'est leur faire voir la responsabilité qu'implique le fait d'avoir vu, le fait de savoir. Telle est, en fait, la seule implication, à reconnaître non pas à connaître, que le film met sous nos yeux.
Autrement dit, L'île aux fleurs pose la question de l'engagement.
Comment dire, on hésite, « s'engager » ou « être engagé » ? Mais, ici, nulle alternative, l'un suppose l'autre. Car s'engagera qui prendra conscience d'être, déjà, engagé. La voix pronominale se déduit d'une voix moins réflexive, moins active. Entre les deux voies, les deux voix : pronominale et passive, c'est une prise de conscience qui s'opère, telle une opération, tel un acte discret d'abord, bientôt bruyant. Tel un sursaut. Car, une fois qu'on aura vu, on devra encore ouvrir les yeux : à quoi donc engage le fait de savoir?
Par exemple, répondant à une commande de l'Université de Rio Grande do Sul sur le traitement des déchets et découvrant l'existence du site, Furtado s'engage désormais à ne pas faire comme s'il n'avait pas vu, comme s'il ne savait pas. Désormais il sait, comme il l'écrit à l'ouverture du film, qu' «il existe un lieu appelé île aux fleurs». Il avertit donc que «Ce film n'est pas une fiction» et énonce-annonce la conclusion logiquement contenue dans les deux prémisses : «Dieu n'existe pas».
L'île aux fleurs pose la question du « savoir ».
Mais en quoi la question du « savoir » serait-elle encore une question ? La connaissance ne clôt-elle pas au contraire le processus du questionnement ? Le cortège des réponses ne met-il pas fin à la quête, au moins à l'enquête ?
Nullement, s'il s'agit non plus de répondre à des questions mais bien de répondre de ce que nous savons.
Répondre, donc, des réponses elles-mêmes.
Savoir, qu'est-ce que cela nous fait ? Qu'est-ce que cela nous fait faire ?
Cela nous change-t-il ? Et, d'abord, quelle saveur ? Et sera-t-elle à notre goût?
Que faisons-nous de ce que nous savons ? Telle est la question.
Telle est la question qui court à travers l'enchaînement des réponses, définitions et explications déroulées tout au long des 12 minutes de L'île aux fleurs.