C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Buridan / la volonté prétendument neutralisée par l'équivalence des possibilités offertes

   L'exemple, qui consiste plutôt en un dispositif imaginaire devant frapper l'esprit, est repris de la tradition. 
    Ce serait à tort qu'on lui associe le nom d'un auteur, Jean Buridan (14ème s.), lequel précisément ne s'en serait jamais lui-même servi! 
   Néanmoins c'est sous cette appellation, "l'âne de Buridan", qu'on pense à la situation dans laquelle se trouverait un animal également assoiffé et affamé, un âne donc, placé à égale distance d'un seau d'eau et d'un seau d'avoine.

   La réflexion de Sartre sur la différence entre projet et volition permet de surmonter les écueils d'un tel formalisme. Car ce n'est jamais entre deux objets, ni même entre deux actes, qu'on choisit, mais entre des projets, c'est-à-dire entre des sujets imagés, idéalisés différemment, selon des valeurs distinctes. Le choix se fait entre des personnalités, des subjectivités, des mondes différents (habités par de tels sujets, par des hommes pensés sur ces modèles), non pas entre ...un plat et un verre!

NB : à l'article Buridan, l'encyclopédie Wikipédia mentionne au moins trois occurrences de "l'image expérimentale" de l'animal indécis : 
  • Au 4ème s. avant notre ère, Aristote se demande dans son traité Du ciel comment un chien placé devant deux nourritures également attirantes choisit entre elles.
Spinoza, (17ème s.) :
  • « Qu'il existe une volonté. - Que d'ailleurs l'âme a une telle puissance, bien que n'étant déterminée par aucunes choses extérieures, cela se peut très commodément expliquer par l'exemple de (l'ânesse) de Buridan. Si en effet l'on suppose un homme au lieu d'(une ânesse) dans cette position d'équilibre, cet homme devra être tenu non pour une chose pensante, mais pour l'âne le plus stupide, s'il périt de faim et de soif », extrait des Pensées métaphysiques
  • « On peut […] objecter que, si l'homme n'opère pas par la liberté de la volonté, qu'arrivera-t-il donc s'il est en équilibre, comme l'ânesse de Buridan ? Mourra-t-il de faim et de soif ? Que si je l'accorde, j'aurai l'air de concevoir une ânesse, ou une statue d'homme, non un homme ; et si je le nie, c'est donc qu'il se déterminera lui-même, et par conséquent c'est qu'il a la faculté d'aller, et de faire tout ce qu'il veut." extrait de l'Éthique  
Voltaire (18ème s.) :
  • "Connaissez-vous cette histoire frivole
    D'un certain âne illustre dans l'école?
    Dans l'écurie on vint lui présenter
    Pour son diner deux mesures égales,
    De même force, à pareils intervalles;
    Des deux côtés l'âne se vit tenter
    Également, et, dressant ses oreilles,
    Juste au milieu des deux formes pareilles,
    De l'équilibre accomplissant les lois,
    Mourut de faim, de peur de faire un choix."
                                       extrait de La Pucelle d'Orléans