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Raison et raison d'être
Rq :
certes, il semblerait réaliste (« réalisme » ...au sens
de l'exigence de ne pas se laisser enfermer dans notre subjectivité,
dans notre tendance à voir le réel tel qu'il nous apparaît) de
considérer que l'ordre que nous cherchons au-dehors, « dans »
le réel, n'est qu'une projection de ce que nous sommes nous-mêmes
(en tant qu'êtres pensants, êtres doués de raison), non pas une
représentation objective de ce qu'est « le réel en
lui-même », le réel pris en lui-même (non pas pris, appris,
compris par l'esprit humain).
Toutefois,
l'hypothèse selon laquelle l'ordre, la rationalité, le sens,
l'unité (cf. comprendre c'est unifier) ne renverrait qu'à l'homme,
qu'à son besoin d'ordre, de raison, de sens, de pourquoi, se heurte
précisément au constat que l'être humain est un être, un élément
du réel, fait « partie » de ce réel.
Comment
concevoir que le réel soit un simple chaos, sans rime ni raison,
dépourvu de sens (de possible mise en relation) si l'homme doit
constater, au moins pour lui-même, qu'il a lui-même un besoin de
raison, de sens, etc.
Que
le réel soit chaotique c'est une chose... mais qu'il ne soit que
chaos et qu'il y ait au sein de ce chaos un être qui soit doté,
équipé d'une raison = d'une faculté qui invite cet être à
chercher un ordre qui n'existerait pas ailleurs qu'au-dedans de
lui-même… cela revient à penser davantage qu'un simple chaos,
davantage même qu'une absurdité. Une sorte de dérision, de
cruauté (hypothèse par ailleurs intenable puisque il n'y
aurait pas non plus d'intention, de volonté, faute d'une puissance
ordonnatrice et créatrice de la réalité) ?
Cf.
Heidegger, Introduction à la métaphysique
la
formulation > « étant » = chose qui existe >
participe présent « being »
« arbitraire »
= fantaisie de l'esprit, caprice, question contingente : elle se
pose mais elle pourrait ne pas se poser > au contraire, il s'agit
de montrer que non seulement elle s'impose à l'esprit humain, mais
qu'elle est la première de toutes les questions qu'un « esprit »,
qu'une « raison » humaine peut se poser.
« Première » :
en quel sens ? Commencement (chronologique) / fondement
(axiologique)
Cette
question qui porte sur tous les étants (tout ce qui est) ce n'est
certes pas la question par laquelle chacun commence, commence à
poser des questions, commence à penser, réfléchir : au sens
chronologique, elle ne vient pas en premier.
Mais
cette question est primordiale au sens où toutes les autres en
dérivent. « primordiale » au sens donc de
« fondamentale ». Cette question est la raison d'être de
toutes les autres que nous nous posons, c'est elle qui donne sens à
toutes les autres (que nous en prenions conscience ou non).
Pourquoi
cette incorrection « demander la question » si ce n'est
pour faire entendre que derrière toute question (quête, enquête)
il y a plus qu'une phrase interrogative, il y a un véritable désir,
volonté de trouver une réponse, vouloir que le réel
réponde-corresponde à notre question (sinon il y aurait un manque).
D'où
l'autre bizarrerie grammaticale « ce questionner » (=
cette question) : bizarrerie pour insister sur le caractère
actif, engagé, de notre rapport à cette question, qui ne doit donc
pas rester une simple interrogation.
Sol
sur lequel « poser », « horizon » (autre
image : celle de la mise en perspective, de la profondeur,
quelque chose m'apparaît sur fond)
« ennui »,
« allégresse », « désespoir » : 3
états affectifs, qui concernent l'homme apparemment dans sa
sensibilité (sa capacité à éprouver des sentiments) non pas dans
sa rationalité. Et pourtant ces « simples » sentiments
sont en rapport avec cette question, « ce questionner »,
que seule sa raison permet à l'homme de se poser.
Car
chacun de ces trois sentiments correspond à l'expérience pour Un
homme, pour UN sujet, de penser le TOUT, la totalité de tout ce qui
existe, tous les étants (toutes les choses qui existent).
En
effet, dans l'ennui, quoi qu'on me présente, quelle que soit la
chose (quel que soit l'étant...) qu'on me montre, rien ne me sort de
mon ennui (ce « monstre » dévorant, « glapissant »
selon les Fleurs du mal
de Baudelaire), « tout » m'est égal, « tout »
m'est indifférent.
De
même, dans l'allégresse, j'ai conscience que l'événement qui me
rend si joyeux aurait pu ne pas se produire, ne pas « arriver »,
m'arriver, et je me demande comment il a pu se produire, c'est-à-dire
comment peut exister un monde qui rende possible un tel événement,
un monde, tout un monde dans lequel cet événement en particulier
trouve sa place.
De
même pour le désespoir...
En
bref, cet extrait de Introduction à la métaphysique
met en évidence le face à face entre « la raison et le
réel », la raison humaine en quête de raisons dans le réel,
en insistant sur le fait que « la raison » n'est jamais,
chaque fois, que la raison d'un homme, d'un sujet, qui doit faire
l'effort de penser le tout du réel dont il n'est qu'une partie.
>
il n'y a pas « la » raison mais un acte, toujours
singulier, toujours celui d'un sujet, qui veut faire face au tout de
ce qui existe, à la totalité des étants, y « faire face »
en y cherchant du sens, de l'ordre, de la « raison ».
- La raison, faculté fondamentale parmi toutes les facultés d'un homme
La
raison = pas seulement ce qui nous permet d'embrasser l'ensemble de
la réalité, mais aussi l'ensemble de notre propre subjectivité.
La
raison n'est pas une faculté parmi d'autres (le langage, la mémoire,
l'imagination, la sensibilité, etc.) puisque c'est grâce à elle
que nous définissons toutes les autres : que nous expliquons ce
que signifie « se souvenir », ce qu'est une image, ce que
veut dire « parler », etc. C'est d'ailleurs la raison qui
se définit elle-même, c'est en raisonnant qu'on cherche ce que veut
dire être « raisonnable », ce que veut dire « être
rationnel », ce qu'on doit faire pour faire œuvre de raison.
Toute
la tradition philosophique y insiste : un humain = deux
facultés, la raison et la liberté. Mais c'est encore par la raison
que nous pouvons énoncer cette affirmation, éventuellement la
critiquer.
cf.
Kant, Idée d'une histoire universelle d'un point de vue
cosmopolitique p.21 l.2-3
« la
raison et la
liberté du vouloir
qui se fonde sur elle »...
cf.
La Mirandole, De la dignité de l'homme
objection
chez Rousseau, Discours de l'origine et les fondements de
l'inégalité parmi les hommes
p.37
les
deux facultés qui font que l'homme est homme = liberté +
« perfectibilité »
réponse
à l'objection de Rousseau : c'est pourtant en raisonnant que
Rousseau voudrait nous convaincre que la raison n'est pas une faculté
spécifiquement humaine...