C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Valeurs : le bon, le beau, le bien, le vrai, le juste, le sacré

La question des valeurs met en jeu chez l'humain principalement trois facultés : 
  • la raison pour se représenter l'idée, 
  • le désir pour transformer l'idée en un idéal,  
  • la liberté pour arbitrer entre les valeurs.

Chacune des six valeurs proposées met en évidence un aspect essentiel de la condition humaine : 
  • le bon, le bonheur : cette valeur qui semble si naturelle, qui semble susciter si immédiatement l'adhésion de chacun (qui ne voudrait, comme on dit hâtivement, "être heureux"?), se sépare pourtant d'une simple logique du vivant dans la mesure où elle donne une priorité au corps propre, à l'individu, à la personne, au sujet. L'hédonisme correspond donc à une valorisation culturelle du plaisir des sens, non pas à la manifestation d'un instinct bestial.
  • le beau, la beauté : cette valeur pourrait être considérée comme la valeur qui, mieux que toute autre, introduit une bifurcation par rapport à la simple logique du vivant dans laquelle tout a une fonction biologique, où tout est au service de la survie et de la reproduction de la vie. Car la recherche de la beauté invite non seulement à détourner les moyens de leurs fonctions mais, plus radicalement, à rechercher la grâce, la gratuité, c'est-à-dire l'absence de fonctionnalité. Une chose est belle quand elle est considérée pour elle-même, quand elle vaut en elle-même, non plus par rapport à ce qu'elle ...rapporte, par rapport à ce à quoi elle sert (valeur intrinsèque, valeur extrinsèque). Or l'idée d'une valeur intrinsèque est précisément l'idée d'un absolu qui nous affranchit du relatif de l'utilité, de l'ustensilité (valeur extrinsèque).
  • le bien (au sens moral : opposé au "mal") : la valeur morale projette une lumière décisive sur ce qu'est toute valeur puisque c'est elle qui rappelle chacun à sa liberté, c'est-à-dire au fait que son action peut ne pas relever d'un simple comportement prédéterminé, mais qu'elle peut constituer une véritable conduite correspondant à une possibilité choisie parmi d'autres possibilités. Faire le bien : l'expression ne désigne pas le contenu objectif d'une action (le quoi de l'action, ce que j'ai fait), mais l'acte par lequel un sujet "fabrique" le bien, l'idée de bien, au sens où il fait surgir une possibilité (correspondant à son idée du bien) opposée à une autre.
  • le vrai, la vérité : la vérité comme valeur rappelle que l'humain est un être qui représente l'être, le réel, ce qui est. Il parle de l'être, il s'en fait une idée. Dès lors se pose la question de savoir si ce qui est dit est conforme à ce qui est, si le discours est fidèle au cours des choses telles qu'elles ont lieu. En ce sens, le vrai est la valeur qui rend possibles toutes les autres, qui les rend possibles comme idées, comme représentations, puisque c'est l'exigence de vérité qui nous invitent à justifier ce que nous disons sur ce qui est et sur ce qui doit être.
  • le juste, la justice : cette valeur rappelle chaque humain au "fait politique", au fait que pour l'humain vivre signifie "vivre parmi les hommes", vivre au sein d'une communauté d'hommes. Ainsi chaque homme devra répondre devant la communauté des hommes de valeur, du modèle qu'il retient pour guider son action. Car c'est le propre de tout modèle de modeler l'action d'un sujet mais aussi, en même temps, de se proposer comme modèle à suivre par d'autres. En agissant, chacun doit non seulement répondre de son action à la lumière de la valeur, du modèle qu'il s'est donné, mais il doit aussi répondre devant les autres de la possibilité de donner à son modèle une valeur universelle. Au sein d'une "communauté" (polis en grec) tout modèle appelle sa propre transmission, tout modèle a une valeur modélisante de la conduite de tous les autres sujets.
  • le sacré (opposé au profane) : l'être humain pense l'être et valorise un devoir-être. Ces deux conditions se réunissent pour donner sens à une démarche propre à l'humain, le culte du sacré, qui consiste à se représenter l'être à l'origine de sa propre existence, à l'origine même de l'existence de tout homme, et même à l'origine de l'existence de toute chose au sein du réel. Or cette démarche ne consiste pas seulement à se représenter, mais aussi à valoriser : l'humain est un être qui valorise le fait d'être, qui peut penser que l'être vaut mieux que le non-être (le néant) et que, donc, l'être à l'origine du fait qu'il y a de l'être doit être honoré, considéré comme fondement d'autorité, fondement de l'obligation morale et, ainsi, garant de la réponse à la question "Que dois-je faire?", autrement dit comme une instance commandant, recommandant ou simplement demandant que les êtres se conduisent ainsi, non pas autrement.