C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

TMD / Prise de note / Mercredi 4 décembre / corrigé DS

Faut-il être cultivé?
analyse de l'intitulé

« Il faut » : exigence, devoir-être, obligation > je dois faire ce que je pourrais ne pas faire > toute obligation repose sur l'opposition entre deux possibilités
stricto sensu (au sens strict), il ne « faut » pas que l'eau bouille
si la température est portée à 100 degrés, l'ébullition n'est pas possible, elle n'est donc pas « obligatoire », elle ne peut pas ne pas se produire : elle est nécessaire, l'ébullition est l'effet nécessaire de l'élévation de la température (cause) .
Ob-ligation : ligare, lien, « avoir l'obligeance »
« pouvoir » :
  • capacité (can en anglais)
  • légitimité (may)
  • possibilité > liberté : non-détermination

Introduction
  • cette question « Faut-il... » : soit l'expression d'une naïveté puérile soit une véritable provocation … tant l'exigence de culture est une évidence sociale au point qu'aucune situation n'est plus humiliante pour un humain que de sentir le reproche d'un manque de culture. cf. « inculte »...
  • naïveté > ignorance si grande que celui qui demande ne sait même pas reconnaître qu'il est déjà, ne sait pas non plus voir que la culture commence avec les toutes premières acquisitions sans lesquelles la vie, au sens d'abord de la survie (biologique), ne serait pas possible. D'ailleurs qui pose cette question « Faut-il être cultivé ? » montre suffisamment, en prenant la parole, qu'il est depuis entré dans l'apprentissage, donc dans l'acquisition de la langue, acquisition fondamentale qui permet toutes les autres.
  • provocation > « Faut-il... » = « A quoi bon » … l'idée qu'il serait vain d'entrer dans la culture puisque chacun pourrait faire le constat, à l'orée de ce 21ème s., et puis à la lumière du précédent, que la culture ne remplit pas sa mission. Quelle mission ? Non pas de donner à l'homme de quoi vivre (= ensemble de moyens acquis pour atteindre une fin imposée : vivre), mais de quoi être « meilleur » > valeur morale (le bien).
    > nous montrerons que « culture » a au moins 2 sens, relève de 2 registres > le premier fait de la culture non pas une exigence, un devoir, une obligation mais une stricte nécessité et le second la fait apparaître en effet comme un devoir (donc un « il faut ») mais rarement accompli, comme une promesse mais rarement honorée

  1. Je ne peux pas ne pas « être cultivé » :
  • « dénuement » humain : tout homme fait l'acquisition de ce qu'il ne peut pas ne pas avoir pour être. Avoir ? C'est-à-dire habere en latin, mot sur lequel sont formés de nombreux autres en français qui désignent non pas seulement des choses que nous aurions, mais des domaines entiers d'acquis (opposé à inné) : hab-it, itat, itacle, itude, ileté, ilitation. Que savons-nous aux premiers instants de notre vie, si ce n'est seulement « pleurer » comme l'écrit Pline dans Histoire naturelle ?
  • Dénuement > pas seulement du fait d'un équipement sommaire, quasi inexistant, mais aussi du fait de nos désirs pluriels, non déterminés
  • Dénuement > pas seulement du fait d'un équipement sommaire, mais aussi du fait que le danger, la mise en danger peut venir de partout, y compris de nous-mêmes. « nous » comme communautés (guerre entre nations, et même guerre civile à l'intérieur d'une même nation), mais aussi guerre entre soi et soi, « guerre intestine » .
> vulnérabilité, fragilité de l'humain. Non pas « pauvreté » puisque être pauvre c'est avoir peu (or l'animal n'a pas beaucoup, il n'est pas en situation d'avoir, ni peu ni beaucoup mais de transformer tout qui lui vient en l'assimilant à lui-même)

2 la culture : direction, orientation > la question des fins
  • la main de l'homme. Cf Aristote, Les parties des animaux
  • la culture, ses récits : la culture est un regard qui évalue le « donné naturel ». L'homme se demande si la nature l'a bien fait, s'il a été bien doté, si son donné naturel est juste. cf. Platon, Protagoras
  • la culture = façon de tourner (vers d'autres fins, buts, objectifs), retourner, contourner, au moins détourner ce que « donne » la nature. cf. Merleau-Ponty, La phénoménologie de la perception.

3 La culture crée ses propres « fins dernières »
  • Kant, Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique : la nature a voulu que l'homme tire tout de lui-même comme si la fin n'était pas « la vie » mais « l'estime de soi ». La culture n'est donc pas un moyen associé à un but prédéterminé mais un moyen qui doit lui-même s'orienter, c'est-à-dire se donner l'idée de fins dont il serait le moyen