C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Stabilité du monde humain / renouvellement cyclique de la vie [n°23]

« Considérées comme parties du monde, les produits de l’œuvre – et non ceux du travail – garantissent la permanence, la durabilité, sans lesquelles il n’y aurait point de monde possible. C’est à l’intérieur de ce monde de choses durables que nous trouvons les biens de consommation par lesquels la vie s’assure des moyens de subsistance. Nécessaires au corps et produites par son travail, mais dépourvues de stabilité propre, ces choses faites pour une consommation incessante apparaissent et disparaissent dans un milieu d’objets qui ne sont pas consommés, mais utilisés et habités et auxquels, en les habitant, nous nous habituons. Comme tels, ils donnent naissance à la familiarité du monde, à ses coutumes, à ses rapports usuels entre l’homme et les choses aussi bien qu’entre l’homme et les hommes. Les objets d’usage sont au monde humain ce que les biens de consommation sont à la vie. C’est d’eux que les biens de consommation reçoivent leur caractère d’objets ; et le langage, qui n’autorise pas l’activité du travail à former quoi que ce soit d’aussi ferme, d’aussi non verbal qu’un substantif, suggère que très probablement nous ne saurions même pas ce qu’est un objet sans avoir devant nous «l’œuvre de nos mains».
Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne (pp 139-140), 1961