« Considérées
comme parties du monde, les produits de l’œuvre – et non ceux du
travail – garantissent la permanence, la durabilité, sans
lesquelles il n’y aurait point de monde possible. C’est à
l’intérieur de ce monde de choses durables que nous trouvons les
biens de consommation par lesquels la vie s’assure des moyens de
subsistance. Nécessaires au corps et produites par son travail, mais
dépourvues de stabilité propre, ces choses faites pour une
consommation incessante apparaissent et disparaissent dans un milieu
d’objets qui ne sont pas consommés, mais utilisés et habités et
auxquels, en les habitant, nous nous habituons. Comme tels, ils
donnent naissance à la familiarité du monde, à ses coutumes, à
ses rapports usuels entre l’homme et les choses aussi bien qu’entre
l’homme et les hommes. Les objets d’usage sont au monde humain ce
que les biens de consommation sont à la vie. C’est d’eux que les
biens de consommation reçoivent leur caractère d’objets ; et
le langage, qui n’autorise pas l’activité du travail à former
quoi que ce soit d’aussi ferme, d’aussi non verbal qu’un
substantif, suggère que très probablement nous ne saurions même
pas ce qu’est un objet sans avoir devant nous «l’œuvre de
nos mains».
Hannah
Arendt, La
condition de l’homme moderne
(pp 139-140), 1961