« Le
mot "vie" cependant a un sens tout différent si on
l’emploie par rapport au monde, pour désigner l’intervalle entre
la naissance et la mort. Borné par un commencement et par une fin,
c’est-à-dire par les deux événements suprêmes de l’apparition
et de la disparition dans le monde, cette vie suit un mouvement
strictement linéaire, causé néanmoins par le même moteur
biologique qui anime tous les vivants et qui conserve perpétuellement
le mouvement cyclique naturel. La principale caractéristique de
cette vie spécifiquement humaine, dont l’apparition et la
disparition constituent des événements de-ce-monde, c’est d’être
elle-même toujours emplie d’événements qui à la fin peuvent
être racontés, peuvent fonder une biographie ; c’est de
cette vie, bios
par opposition à la simple zôè,
qu’Aristote disait qu’elle «est en quelque manière une
sorte de praxis».
Car l’action et la parole, qui, nous l’avons vu, étaient
étroitement liées dans la pensée politique grecque, sont en effet
les deux activités dont le résultat final sera toujours une
histoire assez cohérente pour être contée, si accidentels, si
fortuits que puissent paraître un à un les événements et leurs
causes ».
Hannah
Arendt, La
condition de l’homme moderne
(pp 143), 1961.