« Ces trois activités et leurs conditions correspondantes
sont intimement liées à la condition la plus générale de
l’existence humaine : la vie et la mort, la natalité et la
mortalité. Le travail n’assure pas seulement la survie de
l’individu mais aussi celle de l’espèce. L’œuvre et ses
produits – le décor humain – confèrent une certaine permanence,
une durée à la futilité de la vie mortelle et au caractère fugace
du temps humain. L’action, dans la mesure où elle se consacre à
fonder et maintenir des organismes politiques, crée la condition du
souvenir, c’est-à-dire l’Histoire. Le travail et l’œuvre, de
même que l’action, s’enracinent aussi dans la natalité dans la
mesure où ils ont pour tâche de procurer et sauvegarder le monde à
l’intention de ceux qu’ils doivent prévoir, avec qui ils doivent
compter : le flot constant des nouveaux venus qui naissent au
monde étrangers. Toutefois, c’est l’action qui est le plus
étroitement liée à la condition humaine de natalité ; le
commencement inhérent à la naissance ne peut se faire sentir dans
le monde que parce que le nouveau venu possède la faculté
d’entreprendre du neuf, c’est-à-dire d’agir. En ce sens
d’initiative un élément d’action, et donc de natalité, est
inhérent à toutes les activités humaines. De plus, l’action
étant l’activité politique par excellence, la natalité, par
opposition à la mortalité, est sans doute la catégorie centrale de
la pensée politique, par opposition à la pensée
métaphysique ».
Hannah Arendt, La condition de l'homme moderne (p 43)