C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Vrai-faux médecin?

Jean-Claude Romand fait le "docteur en prison",
un article de Isabelle Horlans paru le 6 juillet 2011
« Vous savez, Jean-Claude, c’est un très brave homme, humble, doux et toujours d’humeur égale. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi bon. Alors quand les gars le consultent pour un problème médical, il pose un diagnostic et donne des conseils, qui sont toujours judicieux. » Ainsi va la vie, à la prison de Saint-Maur (Indre), où Dominique (*) a passé plusieurs années avec le « docteur » Romand. Il fut son voisin de cellule, à l’étage où Patrick Henry est également incarcéré. Les deux meurtriers y sont encore ; Dominique en est sorti. Pour la première fois, il accepte de raconter à France-Soir le quotidien du « toubib », comme les détenus surnomment ce Jurassien âgé de 57 ans, condamné à la perpétuité en 1996 après avoir supprimé sa femme, ses deux enfants et ses parents. Jean-Claude Romand, qui pendant vingt ans s’était prétendu chercheur à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), était prisonnier de ses mensonges. Préférant la mort à l’infamie, il a abattu sa famille mais il a raté son suicide.

« Cavalerie »

C’était en janvier 1993, à Prévessin-Moëns (Ain). Ce vendredi 8, Jean-Claude Romand regagne dans sa BMW la ferme qu’il a acquise en 1984 avec Florence, une jolie pharmacienne de 37 ans rencontrée à la faculté de médecine. Ensemble, ils vont chercher leurs enfants, Caroline et Antoine, âgés de 7 et 5 ans, à l’école Saint-Vincent-de-Paul. Dans la cour, le « docteur » bavarde avec des parents : ses interlocuteurs se souviendront d’un homme « épanoui, heureux ». Faux. Romand est désespéré. Il n’en peut plus, de sa vie « comme si ». Comme si tout était normal, comme s’il pouvait encore tromper les autres et se leurrer lui-même. Depuis vingt ans, il fait croire qu’il est un grand médecin, un ponte de l’OMS, qu’il occupe un bureau au siège à Genève et que, grâce à son entregent, il peut enrichir les siens en plaçant leurs économies en Suisse. Pendant des années, il a investi de grosses sommes prêtées dans des opérations prétendument fructueuses ; en fait, il rembourse l’un avec le bas de laine de l’autre, une escroquerie que l’on appelle « cavalerie », à donner des sueurs froides, à n’en plus dormir. Lui seul sait que son existence, bâtie sur du sable, va s’effondrer : il n’a plus un sou, la banque menace, les traites de la BMW sont rejetées et, faute de rapports, ses amis ne lui confient plus d’argent. Pire : ils commencent à poser des questions. Dans dix jours, un mois, le pot aux roses sera découvert. Jean-Claude Romand est foutu.

Prostré près des corps

Alors, ce vendredi 8 janvier 1993, il va supprimer les êtres qu’il aime le plus au monde. Dans la nuit, sur Caroline et Antoine, il vide le chargeur de sa carabine 22 long rifle. Puis il fracasse le crâne de Florence avec un rouleau à pâtisserie. Samedi 9, il parcourt 75 kilomètres. A Clairvaux-les-Lacs (Jura), il mange avec ses parents, Aimé et Anne-Marie. A une voisine, ils ont annoncé que l’Amérique réclame le « Dr Romand ». Il va y être muté. Jean-Claude termine ses haricots, tire sur son père, sur sa mère et abat leur chien. Direction Paris. Il a rendez-vous avec Chantal, une ex-maîtresse qui lui a prêté 900.000 F (137.204 €). Elle veut récupérer son argent. Il tente de la tuer, lui laisse finalement la vie sauve. Retour à Prévessin-Moëns, où il passera vingt heures prostré près du sapin de Noël et des cadavres de Florence, Caroline et Antoine. Dimanche soir, Romand avale des barbituriques, arrose les corps d’essence, incendie la ferme. Il s’en va rejoindre les siens. Les pompiers le sauvent. Lundi 11 janvier, tandis que le tueur survit dans un caisson pour grands brûlés à l’hôpital de Genève, la communauté du pays de Gex apprend l’horreur : l’époux modèle, le fils parfait, le « collègue » admiré, a passé huit ans à la fac de médecine sans décrocher un diplôme. Il a toujours fait semblant. Romand, qui n’a jamais eu de métier, qui ne s’est même jamais inscrit au chômage, s’est inventé un double. Pour offrir une belle vie à sa famille, il a escroqué ses parents et amis à hauteur de 45 millions de francs (6.860.205 €). Mardi 2 juillet 1996, il sera condamné à la réclusion à perpétuité, assortie de vingt-deux ans de sûreté. Compte tenu de la détention préventive, il est libérable en 2015.
« Je ne le vois pas demander la conditionnelle, témoigne son ami Dominique. Il a une conduite exemplaire qui, à mon avis, lui permettrait de l’obtenir, mais qu’en ferait-il ? Jean-Claude ne se reconstruit pas en prison, il subit simplement sa vie. Il est très détaché des faits qui l’ont amené là parce que c’est l’autre Jean-Claude qui les a commis. Un jour que l’on parlait d’une station de ski, il m’a raconté y être allé avec ses enfants, parlant d’eux et de son épouse comme s’ils vivaient encore, en tout cas pas comme si c’est lui qui les avait tués. Je me souviens, quand la télé rediffusait un doc sur son histoire, il me prévenait et ça ne semblait pas le gêner. Moi, dans ma cellule, je regardais l’émission, ses beaux enfants, sa jolie femme, c’était terrible… Le lendemain, j’étais très mal. Lui se comportait comme d’habitude, souriant, aimable, peu concerné, finalement… » Dominique insiste sur cet aspect Dr Jekyll et Mr Hyde, qui l’a stupéfait : « J’ai rencontré des monstres en centrale, aucun ne m’a jamais impressionné. Lui, si. Si on commet un geste si fou, on se repend ; pas Jean-Claude. Il n’a pas de réelle conscience de ses actes. Du coup, je n’ai jamais vu en lui un monstre mais un homme gentil, serviable, humain… »
Contrairement au tueur d’enfant Patrick Henry qui est détesté à Saint-Maur, le « toubib » Romand est respecté. « Il fait très médecin à l’ancienne, très notable, et les gars aiment bien ça. Au début de notre relation, il ne sortait pas beaucoup. Je l’ai emmené dans la cour chaque dimanche, je le prenais par la main comme un bébé et, petit à petit, il a fait connaissance. Les détenus en sont venus à lui parler de leurs maux, il a commencé à les conseiller. Toujours sur la pointe des pieds, en leur précisant : je pense que vous avez telle maladie mais je ne suis pas sûr. Pourtant, il avait toujours bon. Il est vraiment très fort, vous savez. Cela s’est su et, maintenant, c’est le “doc” à qui on se confie. »
Un temps bibliothécaire, Jean-Claude Romand travaille à l’atelier « son » : « Il y est très heureux. Chaque jour, il restaure des documents de l’Institut national de l’audiovisuel et il les numérise. Il faut avoir une bonne culture pour bosser là, ça lui convient parfaitement. Pendant toute son existence, il a eu peur de décevoir. A Saint-Maur, ce n’est plus le cas. Il est apaisé. C’est pour cela que je ne le vois pas trop quitter la prison… » Excepté Dominique, désormais libre, il ne s’est pas fait d’amis : « Il ne se mélange pas trop. Il préfère être seul avec lui-même… »

(*) Le prénom a été modifié.